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William Basinski, Ellen Fullman, Sourdure, le 6 avril 2016 à l’église Saint-Merri (Sonic Protest)

today14/04/2016 78 1

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William Basinski, Ellen Fullman, Sourdure, le 6 avril 2016 à l’église Saint-Merri (Sonic Protest)

Avec une affluence monstre (30 minutes de queue) et un instrument monumental trônant en son sein (30 mètres de cordes), jamais la nef de Saint-Merri n’a ressemblé à un si réjouissant bordel que ce 6 avril pour Sonic Protest. L’affiche en vaut la chandelle, puisque pour sa soirée « musique minimaliste », le festival réunit deux poids lourds et un entre-deux décalé. C’est la pionnière Ellen Fullman, 69 ans, qui inaugure et fait donc parler son fameux « long-string instrument », installation enchanteresse de deux rangées de cordes qu’elle pince ou caresse, laissant place à un corridor dans lequel elle va et vient pas à pas. Les aspects visuels et manuels sont tellement prépondérants qu’on ne peut les détacher du résultat sonore, et que l’ensemble se doit d’être pris comme une sorte de performance. Conçu pour jouer avec des fréquences et des phénomènes acoustiques inhabituels, le dispositif donne une qualité surnaturelle au son, à croire qu’on entend un harmonium ou des cornes de brume, et non un instrument à cordes. À l’hypnose du captivant spectacle d’équilibriste qui se répète devant nous, s’ajoute celle du son, d’une beauté pure, rassurante, à vitesses multiples. On est bien à l’école des minimalistes américains, mais pas dans le formalisme raide d’un La Monte Young. Fullman est plus accueillante, portée vers une spiritualité qui s’apprivoise, et aurait même mérité un bon quart d’heure de plus (et davantage de places assises !) pour se déployer vraiment.

Ellen Fullman
Ellen Fullman

Après cette amorce divine, le live de Sourdure nous fait basculer dans un folklore de feu de camp, traditions médiévales et rituels religieux inclus. C’est audacieux dans ce contexte, d’autant qu’un problème technique le prive de son enrobage électro-bruitiste et le limite à une configuration violon/voix qui parvient pourtant à s’élever dans l’église et faire son effet. C’était peut-être ça qu’il fallait poser entre deux séances de méditations électroniques : un chant en occitan, dépaysant et familier à la fois, qui parvient à faire surgir des montagnes quand il est tout juste repris en écho par un magnétophone. On goute alors volontiers à cette relecture fervente et inventive des musiques traditionnelles, déjà bien entreprise par le collectif de la Novia.

William Basinski
William Basinski

Mais la vraie surprise de la soirée, c’est de découvrir que William Basinski, enseigne incontournable de l’ambient contemporaine, ressemble en personne à un croisement entre DJ Hell et Yves-Noël Genod. Redingote pailletée dans un halo bleuté, silhouette svelte, tignasse blonde : ce n’est pas parce qu’on fait de l’électro expé qu’on va se priver d’un peu de glamour. Pour la deuxième date parisienne de sa carrière, l’Américain tente quelques mots en français – il semble avoir parlé de messe, d’acoustique, et de David Bowie – puis enclenche la machine à rêves sans plus attendre. On est instantanément happé par l’ensevelissement ultra-gradué de ses boucles baroques, figure de style qu’il a quasiment brevetée devant l’éternel. Les tonalités sont proches de celles de son dernier travail, The Deluge, ou de celles de Pinkcourtesphone, projet de Richard Chartier avec lequel il a collaboré dernièrement. Deux séquences se rencontrent et s’éloignent à intervalles croissants, déroulant immuablement leur petite tragédie, puis s’affaissent progressivement, au rythme de ces bandes magnétiques qui se délitent petit à petit. Faite de peu de choses, la grandeur indéniable de la prestation nous dépose dans un espace-temps résolument poétique, qu’on souhaiterait ne jamais quitter. Les effets de lumières dans l’église s’y prêtent tellement bien (une croix écrasante derrière un Basinski magnifié en contre-plongée), qu’ils sont vite atténués pour ne pas virer au pompier. Beaucoup auraient souhaité un peu plus de volume pour s’enfoncer davantage dans l’expérience, mais c’est peut-être là le geste infime de Basinski pour éviter de forcer l’immersion, et amplifier plutôt cette douce irréalité. Nous restons juste au bord, entre conscience et état second, comme le dictaient les fondamentaux de l’ambient : une musique censée échapper à notre attention, à la fois présente et absente. On regrettera un peu que le deuxième et dernier mouvement de son concert prenne une tournure plus horizontale, nous cajolant dans un nuage certes angélique, mais moins consistant. Qu’importe, la magie est bien là, et on la ramènera jusque dans notre lit ce soir là.

Écrit par: Thomas Corlin

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Commentaires d’articles (1)

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  1. Charles sur 14/04/2016

    « et on la ramènera jusque dans notre lit ce soir là »: très juste :) Je me suis couché avec Melancholia (dont le dernier mouvement que tu n’as pas trop aimé était tiré/très inspiré).
    J’ai justement beaucoup aimé cette fin, qui était effectivement plus évidente mais qui m’a réchauffé le cœur.
    Félicitations pour cette chronique.
    Tiens écoute ça quand tu as deux minutes si tu veux bien:
    https://commoneiderkingeider.bandcamp.com/album/unhuulda-2
    Ils passent au Tapette fest en juin
    ++

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