Albums

Kompromat – K-Live

today07/12/2025 9

Background
share close

Kompromat, une issue de secours dans un monde sans porte

Alors que le cycle de vie d’un album se compte désormais en semaines, Kompromat a choisi la stratégie du siège. Leur tournée actuelle, lancée après la sortie de leur second album Playing/Praying, loin de s’essouffler, se mue en un périple qui s’étendra encore sur une bonne partie de 2026. K-LIVE, sorti cet automne, est le témoignage brut de cette épopée aux allures de campagne militaire, le rapport d’étape d’une occupation de terrain. Car le duo formé par Vitalic et Rebeka Warrior ne se contente pas de tourner : il assiège, transforme chaque salle en espace de dissolution de l’ego, en sanctuaire laïque où la sueur remplace l’eau bénite. Un stakhanovisme scénique qui réhabilite la pénibilité et la rigueur de l’EBM face à l’hédonisme rance de la culture club actuelle. Trente ans après les free parties et la chute du Mur, la fête pour Kompromat reste ainsi un laboratoire social où se pose une question brûlante : que fait-on de nos corps quand le monde brûle ?

Quand Kompromat débarque avec Traum und Existenz en 2019, le décor est posé : une imagerie est-allemande tout droit sortie d’un mauvais rêve de la Stasi. La filiation est limpide : Front 242, DAF, Nitzer Ebb pour la frappe martiale ; une pointe de trance 90s et quelques ombres industrielles pour rappeler que l’Europe, quand elle danse, n’oublie jamais totalement ses usines disparues. Mais l’important n’est pas tant la carte des influences que la façon dont elles sont réinvesties : chez Kompromat, rien de muséal. La rythmique sert un propos, pas une nostalgie.

Sur scène, le geste se vérifie. Kompromat abolit la distance entre l’outil et la sueur. Leurs concerts sont construits comme une architecture provisoire, montés à la hâte avec l’adresse des forains, où l’on dresse une nef de stroboscopes et de fumées pour rassembler — et pas seulement divertir. Rien n’est poli, tout est à vif. La communion résonne comme un moteur : la voix se loge dans les interstices des machines, la foule répond, et la liturgie se finit souvent en acte punk, Rebeka portée à bout de bras par une marée qui sait ce qu’elle fait là. Le live n’illustre pas leurs deux albums, il les épaissit, les met à hauteur d’épaules, de torses et de cris.

Le grand mérite de Kompromat, c’est bien d’assumer la dimension discursive de la musique électronique sans tomber dans le prêche pesant. Là où beaucoup se contente d’être politique par contexte, eux articulent la lutte : les paroles, les postures de scène, la collusion des langues… Tout joue sur l’imaginaire du pouvoir et de la résistance, sur la tension permanente entre la rigidité du beat et la fêlure du texte. Leur musique n’est jamais déconnectée des rapports de force. Ici Vitalic n’est pas seulement le  faiseur de rythme; il incarne la Loi, la structure techno-industrielle, le surmoi implacable de la machine qui ne s’arrête jamais. Il est l’architecture brutaliste de notre époque. Face à lui, Rebeka Warrior n’est pas seulement la chanteuse ; elle incarne l’anomalie vivante au cœur du système, celle qui vient gripper la mécanique parfaite par la seule force de l’émotion. Elle est la chair qui refuse de se laisser numériser, injectant du sang chaud dans les circuits froids. C’est de la techno accidentée, dysfonctionnelle,  une musique qui célèbre l’erreur humaine, assume ses failles comme une forme de résistance.

Par là-même, un concert de Kompromat n’est pas un simple exutoire. Il réactive la fonction politique du dancefloor, à savoir un espace d’expérimentation sociale, de friction et de libération pour les communautés marginalisées, pour tous les êtres fragilisés. En scandant ses textes dans un mélange de français, d’anglais et d’allemand rugueux, Warrior ne joue pas à la guerre froide ; elle incarne une résistance queer et féministe face à l’uniformisation culturelle, transformant la mélancolie en arme de combat.

On est donc loin de la « big room » techno lisse : ça cogne, mais ça ne sature jamais au point de rendre la parole illisible. Car la priorité, c’est la voix. C’est là que K-LIVE devient vraiment intéressant : dans la voix de Rebeka. On ne l’a jamais autant sentie ébréchée, fêlée, borderline. Elle tombe, remonte, chante, cri, hurle, murmure. C’est une voix qui n’a pas peur d’être moche par endroits, parce que l’enjeu n’est pas l’esthétique pure, mais la transmission d’une vie qui déborde. K-LIVE, par la voix de Rebeka, documente sans égal la chute — lente, répétée  de nos murs intérieurs (honte, norme, binarité) et fonctionne comme un outil de survie, une manière de tenir ensemble des fragments d’existences multiples.

Il faut ainsi lire Toutes les vies, le premier roman de Rebeka Warrior paru en cette rentrée littéraire 2025, pour comprendre la profondeur de ce dernier EP. Dans ce récit d’autofiction bouleversant, elle évoque le deuil, la pratique des arts martiaux et la quête du Zen. On réalise alors que la fureur scénique de Kompromat n’est pas une posture théâtrale, mais une nécessité vitale. Le live devient ce dojo paradoxal où le chaos sonore permet d’atteindre, par saturation des sens, une forme de vide mental.

En somme, K-LIVE n’est pas seulement un disque, c’est un rappel à l’ordre charnel et une  manière minoritaire de raconter l’époque, par le bas, par les corps, par la nuit. À l’heure où l’intelligence artificielle menace de lisser toute création artistique, la voix éraillée de Warrior et les machines analogiques de Vitalic nous rappellent que la perfection est ennuyeuse et que la beauté réside dans l’accident, la sueur et le larsen.

C’est une musique pour ceux qui cherchent une issue de secours dans un monde sans porte. Une bande-son pour la fin d’un monde, ou peut-être, si l’on en croit l’énergie vitale qui s’en dégage, pour le début d’un autre. Kompromat ne demande pas si vous voulez danser ; ils exigent votre reddition inconditionnelle. Et face à une telle puissance de feu, la résistance est futile.

Kompromat – K-Live (WARRIORECORDS)

Only in your arms – LIVE
Traum und Existenz – LIVE
I let myself go blind – LIVE
No stranger to heartbreak – LIVE

Dates tournées

Written by: Claude Pimp

Rate it

HZ since 2007

Hier, sans aucune forme de prétention, nous cherchions à transcrire et à réfléchir notre époque. Curieux et audacieux, défricheur passionné, nous  explorions  sans oeillères et à travers un contenu éditorial toujours riche
et exigeant l’ensemble des strates qui composaient le monde bouillonnant de la musique indépendante, ses marges souvent nichées dans le creuset du web comme le halo médiatique qui entourait certains. Mais çà c’était avant. Aujourd’hui, on fait ce qu’on peu !

Contact us

doner dooner

dieu vous le rendra….

0%