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Il est sans doute possible d’échelonner tout ce qui a trait à la minéralité dans la musique sur une droite qui partirait de la new age coulante utilisée dans les séances de lithothérapie du Marina Abramovic Institute pour rejoindre le jeu brut et rugueux des sculptures sonores du formidable mais défunt Pinuccio Sciola — un grand écart rempli de versatilité sur l’approche comme sur le fond. On peut en revanche y relever une certaine constante, c’est que cette minéralité est en prise directe avec l’expérience et la sensation. C’est le résultat de la progression de l’état brut de la matière à son expression humanisée: dégrossie, ciselée, sémantisée, elle transmet son contexte, son histoire, et pour certains ses bienfaits.
Le projet Calce (« chaux » en italien) interroge à sa façon le rapport au minéral dans une mise en abyme géologique où le langage des strates entre en résonance avec l’histoire de cette région du Jura suisse entourant la bourgade de Saint-Ursanne. Pensé puis travaillé à deux dans le cadre d’une résidence sur l’ancien site des fours à chaux, aujourd’hui transformé en espace culturel pluridisciplinaire, Calce revisite la mémoire du lieu à travers les performances sonores de Stefano De Ponti et l’édition de l’artiste visuelle Nina Haab, qui rassemble images et témoignages des habitants dans un design dominé par le crayeux du calcaire. De Ponti s’appuie sur l’architecture et le passé sidérurgique du site pour en extraire, à sa manière et dans un parallèle abstrait avec le travail de Haab, des témoignages grinçants, crissants, perlants rassemblés en une chimie acousmatique qui, sur les sens, se substitue au contact tactile de la roche et de sa transformation progressive. C’est le discours des fours à chaux centenaires et de la calcite millénaire, étiré à l’infini par des interlocuteurs pour qui le temps ne compte pas.
Le Premier Son, qui ouvre l’album, est en fait un premier souffle, un halètement humide dégorgé par les profondeurs glaciales et rendu à la vie dans Il Ronzio degli Insetti et son approche concrète aux enregistrements graduellement stratifiés, tantôt vociférant, tantôt soupirant, martelant le métal avec méthode comme pour dompter la sauvagerie retenue de ce morceau cyclothymique. L’album restera fidèle à cette confusion, partagé entre ses nombreuses émotions à l’exemple de K’AN qui psalmodie avec fureur et désespoir un extrait de l’édition de Haab, appuyé par une rythmique syncopée et urgente avant de s’apaiser, en chevauchant le titre emblématique du travail du tandem, Spoken Stones, qui laisse glisser l’auditeur au cœur de la minéralité. Soupirs cristallins, frottements sableux, résonances alcalines, sa longueur donne le temps de circuler entre les couches et matières sédimentaires, non pas en plongée mais en circonvolutions, à la manière d’un filet d’eau se frayant un chemin entre les densités rocailleuses avant de gagner la grotte dont il contribuera à créer les stalactites sans âge. Une éternité confortable, comme cette plage de 22 minutes. Plus acoustique (piano, cordes…) sur les deux dernières pistes HSU et Miniatures, l’approche de cet album étale sa diversité dans un final au minimalisme caractéristique mais dont la texture est, comme ce qui précède, dominée par le contexte sonore — celui de l’enregistrement puis celui du message. Le tout donne à entendre une lecture intéressante de la minéralité en musique, vécue ici aussi sous l’angle de l’expérience et de la sensation.
Stefano De Ponti & Nina Haab – Calce
Stefano De Ponti & Nina Haab – Calce (Kohlhaas, 2016)
01. Le Premier Son
02. Il Ronzio degli Insetti
03. K’AN / airy abysmal
04. Spoken Stones
05. HSÜ / haunt of waiting and nourishment
06. Miniatures (Bonus Track)
Écrit par: Ted Supercar
Calce Kohlhaas Nina Haab Stefano De Ponti
Hier, sans aucune forme de prétention, nous cherchions à transcrire et à réfléchir notre époque. Curieux et audacieux, défricheur passionné, nous explorions sans oeillères et à travers un contenu éditorial toujours riche
et exigeant l’ensemble des strates qui composaient le monde bouillonnant de la musique indépendante, ses marges souvent nichées dans le creuset du web comme le halo médiatique qui entourait certains. Mais çà c’était avant. Aujourd’hui, on fait ce qu’on peu !
dieu vous le rendra….
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