Edito

Edito #3 : Le nerf de la danse

today24/11/2013 55 16

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le nerf de la danseLe 9 novembre dernier, le deuxième tour des élections du Maire de la Nuit à Paris a eu lieu dans une cinquantaine de lieux de vie nocturne de la capitale. Une bière à la main, un bulletin de vote dans l’autre, tranquille, on s’organise face au déclin supposé de la nuit parisienne jugée trop concentrée, trop chère, pas assez accessible. Résultat d’une initiative indépendante, l’organisation de cette élection s’inscrit dans le prolongement des Nuits Capitales, elles-mêmes découlant de la pétition Paris, quand la nuit meurt en silence. Après un premier vote via facebook, six candidats s’affrontaient pour représenter, à la manière du Nachtbrugemeester d’Amsterdam, les citoyens noctambules. Les propositions sont parfois intéressantes, souvent fleuries, toutes convergeant à quelques encablures près en faveur d’un dialogue constructif avec les pouvoirs publics et les associations de riverains pour que les noceurs puissent continuer à nocer à satiété. Et qu’ainsi la caisse enregistreuse marche sans entrave. Comme le dit si bien l’heureux élu, Clément Léon R., quand y’a de la teuf, y’a du taf. Ouais. Au-delà d’une tentative quelque peu brouillonne d’institutionnalisation et de légitimation de problématiques inhérentes à la réalité des nuits parisiennes cet ultime épiphénomène, trop esseulé pour être crédible, témoigne en filigrane d’une triple rengaine désormais servie à toutes les sauces, du sempiternel Paris, c’était mieux avant au rébarbatif Paris c’est pas Londres ni Berlin, en passant par la théorie du complot selon laquelle une mafia tiendrait tous les établissements parisiens par le cul de la pinte. Certes, il y a du vrai, mais il faut sans doute se l’être donnée des années durant pour déclamer, à la manière d’un Didier Lestrade écœuré dans Minorités, que « Paris est une merde et son maire doit arrêter ASAP son ordonnance de Rohypnol » (lire). On est ainsi encore parti pour souper du Pulp à toutes les sauces, tandis qu’on bouffe sans rien avoir demandé à personne une kyrielle d’événements Facebook vantant les concepts berlinois ou UK underground de soirées se ressemblant peu ou prou toutes entre elles. Tradition française oblige, l’herbe est forcément plus verte ailleurs, moins chère et surtout de meilleure qualité : se la coller du côté de Kreuzberg relève désormais du quasi pèlerinage tandis qu’il n’y a rien de plus valorisant que de prendre le shuttle pour se mettre une mine à la Fabric. Une Fabric qui, comme le Berghain, serait un endroit autrement plus excitant que notre bon vieux Rex – fêtant pourtant dignement ses vingt-cinq. Sans doute, on ne va pas affirmer le contraire. Mais il y a une propension tellement grégaire à cet attrait pour la Currywurst et le porridge qu’on en oublie de regarder au plus près et d’investir ce qui se trame à quelques stations de métro de chez soi. Au fait, il est de quel couleur le papier peint de ta chambre ?

Si l’extension de la gentrification aux confins du périph’ parisien est un phénomène opérant telle une lame de fond depuis des décennies, Paris à toujours plus tenu du musée que de la ville en reconstruction, en ruines ou en mutation architecturale profonde. La seconde guerre mondiale n’a pas mis à sac l’urbanisation serrée francilienne, au contraire de Londres et Berlin, de la même manière que les grands entrepôts manufacturiers n’ont pas, à de rares exceptions près, été implantés dans le cœur de la belle endormie. Comment alors investir les vestiges de l’histoire ou les cicatrices de la désindustrialisation pour danser sur leurs ruines encore fumantes ? Putain de collaboration, putain de Napoléon III. S’esquinter la santé et s’obscurcir les lendemains dominicaux à toujours été plus aseptisé et guindé dans les dédales haussmanniens, quand bien même de nombreux clubs ont taillé une réputation de choix à la nuit parisienne. Une tendance aujourd’hui à son paroxysme et qui n’emballe que les plus naïfs ou amnésiques d’entre nous – n’est pas Patrick Thévenin qui veut (lire), oui le mec citant sans l’esquisse d’un sourire Brodinski et Pedro Winter pour nous redonner le moral. Comment se réjouir en effet d’aller s’entasser à La Machine du Moulin Rouge et raquer comme un connard pour des bières chaudes en canette ? Comment sauter de joie à l’idée de se coltiner les videurs du Wanderlust pour avoir le privilège de festoyer dans un truc rappelant étrangement d’impersonnelles cafet’ étudiantes, en moins bien ? Certes, des montagnes qui accouchent de souris, il y en a à chaque coin de rue à Paris. Ce n’est ni nouveau, ni ancien. C’est juste comme ça. Mais à force de prendre les trains de banlieue uniquement pour gagner les aéroports, on en oublie qu’une chiée de collectifs se bouge l’arrière-train pour faire vivre – et non revivre – la techno à Paris et ses environs bétonnés. Si le Weather Festival fut une agrégation de bonnes volontés, comment ne pas citer nos amis de SonotownRelease the GrooveThe Only Way Out, Club Lonely, I’m a Cliché75021 ou même les agités du Zéro Zéro. Aussi, à se barrer invariablement chaque week-end et s’en remettre pépère toute la semaine devant sa télé, on en oublie avec une facilité déconcertante qu’une multitude de concerts ont lieu dans les salles de la capitale, qui, si elles ne sont pas légion, ont tout de même le mérite d’exister et de faire vivre cahin-caha des agences de booking dans le game et le trend – de Super ! à Imperial – en plus d’autres bien plus modestes et à des années-lumière de la professionnalisation. Je pense à Super DrakkarGone with the WeedMaison Sauvage ou même Hartzine Events, noircissant les programmations de lieux comme l’Espace B, la Mécanique Ondulatoire ou encore l’International avec des groupes sur les chemins boueux de la renommée – soit le moment idoine pour évoquer le concert des Canadiens de Doom Squad le 3 décembre prochain à l’Espace B (Event FB). D’ailleurs, à trop assimiler nuit et techno, on en arrive à occulter combien la scène musicale francilienne peut s’avérer attrayante : si l’on prend par la noblesse de la création contemporaine l’activité musicale, un Jeff Mills – récemment interviewé – tranche invariablement en faveur de Paris et de la France : « lorsque l’on appréhende la musique en termes d’expression humaine et de dispositif dans lequel matérialiser l’émotion, il n’y a pas beaucoup d’autres endroits en Europe de l’ouest qui peuvent se targuer d’avoir une telle histoire et une telle richesse culturelle ». Si l’on prend par la lorgnette politique l’émulsion musicale, quel autre pays que la France aurait transformé avec une telle fantasmagorie délétère la tournée C’est un Rêve des Death in June ? Menaces de violence des antifa, procès d’intentions, interdiction préfectorale, concert tenu dans des lieux secrets… du petit lait pour le sulfureux Douglas Pearce revêtant alors sa plus belle tenue de résistant à la censure, aussi homoérotiques fut-elle.

Ainsi donc, que cachent les Cassandre des Nuits Parisiennes, sinon un panier de crabes plus ou moins représentatif de l’individualisme contemporain ? En effet, on veut investir des immeubles inoccupés et des stations de métro abandonnées pour clubber ? Courage politique ou pas, n’y a-t-il pas de finalité sociale plus évidente, notamment à l’heure de la crise du logement ? On demande plus de taxis pour que le pauvre petit noceur puisse guincher sans se soucier de l’heure ? La non extinction des enseignes lumineuses ? Un salaire minimum pour les DJ ? Et puis quoi encore, l’institution des glory hole dans chaque rade ? Difficile de répondre par l’affirmative sans arrières-pensées vilement égoïstes et foutrement paresseuse, à l’heure où la société ne se consacre plus qu’à la satisfaction de celles-ci plutôt qu’à la mise en perspective collective des problèmes. Plutôt que de claironner qu’on en veut toujours plus, faisons avec ce que l’on a. C’est déjà un moindre mal et à la longue ça rend moins con.

HZ MONTHLY MIXTAPE – NOVEMBER 13

Retrouvez l’édito #1 (septembre 2013) : Le sens du poil
Retrouvez l’édito #2 (octobre 2013) : Ethique et toc

Écrit par: Thibault

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Commentaires d’articles (16)

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  1. Clément Léon R sur 25/11/2013

    vous n’avez aucune conscience du problème lié à la nuit… Renseignez-vous, la curiosité n’est pas un vilain défaut.

  2. Thibault sur 25/11/2013

    inutile de te braquer, on a appris ton programme par coeur. Et à défaut de conscience, on a notre expérience, si relative soit-elle.

  3. Clément Léon R sur 25/11/2013

    je ne me braque pas, nous sommes tous d’accord pour dire que cet article est inutile, c’est tout. Bref, bonne continuation.

  4. Thibault sur 25/11/2013

    oui, on te souhaite une bonne récupération électorale.

  5. Clément Léon R sur 25/11/2013

    c’est tout ce que je souhaite à mon programme, c’est d’être récupéré, justement…

  6. hartzine sur 25/11/2013

    point Godwin : les traductions politiques ne reposent que sur l’habillage et ne se débitent qu’en promesses.

  7. Sylvain sur 25/11/2013

    Suite à la saisine de la cocoe, et à un nouveau comptage des voix, il semblerait que Michou te devance de 24 voix. Mince.

  8. akitrash sur 25/11/2013

    J’avoue que si je ne suis pas entièrement d’accord avec cet édito, Thibault soulève néanmoins quelques points importants.

    Quand
    à dire que « nous sommes tous d’accord pour dire que cet article est
    inutile », c’est tendre le bâton pour se faire battre. C’est jouer le jeu
    de la politique radicale qui dit « nous sommes dans le vrai et les
    autres ont tort »… Mais Clément, c’est qui précisément « nous »?

  9. Clément Léon R sur 25/11/2013

    moi et ma personne.. Ca suffit à créer un « nous sommes TOUS »…

    Cordialement,
    Le maire schizophrène. :)

  10. thomas sur 25/11/2013

    Je trouve navrant et pathétique de voir comment « notre » maire de la nuit réagit. Dès qu’un commentaire ou une critique surgit, il crie à l’inutilité ou au non-savoir. Vous avez voulu avoir une « fonction » publique Mr Clément Léon R ? Alors acceptez ce genre de papier/commentaires et ne faites pas l’offusqué qui croit tout savoir sur tout en dénigrant les gens. Vous aurez forcement des critiques, des ennemis ou des gens qui ne vous aiment pas et ce genre de comportement ne fera qu’élargir leur base et ne vous fait vraiment pas briller. Maire de la nuit, ce n’est pas seulement flatter votre petit ego en faisant le beau en compagnie de NKM ou à la radio…. même si l’on voit bien que c’est la partie qui vous intéresse le plus, malheureusement. Ca pour le coup, on en a une conscience aiguë.

  11. BraveShow sur 28/11/2013

    J’ai plusieurs choses à dire, la première : grosse faute dans le texte (milieu du premier paragraphe) : Certes, il y a du vrai, mais il faut S’EN doute se l’être donnée >> SANS doute.
    Et supprimez donc mon commentaire une fois la faute corrigée ;)

  12. hartzine sur 28/11/2013

    On corrige la GROSSE faute, mais on va laisser le commentaire. Histoire de dire que nous aussi on en fait, des aussi belle que les Inrocks.com

  13. BraveShow sur 28/11/2013

    1/ Si le maire de la nuit pouvait rester courtois… C’est pas des manières, soit on est élu et ouvert au dialogue avec ses administrés, soit on s’expatrie en dictature sans liberté de parole. Aucun article n’est inutile, c’est un non-sens rien de le dire, rien que dans l’énoncé déjà.

    2/ Pour revenir sur la comparaison entre Fabric, Berghain et Rex…
    Vivant à Londres, j’ai été à la Fabric des centaines de fois. Ayant grandi à Paris, le Rex était ma « maison de campagne » pendant 15 ans et j’y retourne « en vacances » régulièrement.
    Très difficile de comparer les 2 lieux, de dire que l’un est meilleur que l’autre. Je n’ai jamais réussi à trancher mais faut-il forcément le faire de toute façon ?!?

    La Fabric a trois salles, la clientèle est très jeune et pas londonienne du tout. Les boissons sont abordables, les toilettes sont nettoyés en permanence et sentent l’encens (!!), le personnel est très sympa.
    Le Rex est relativement petit, la clientèle est plus « passionnée » de musique, majoritairement Parisienne. Le prix des boissons c’est juste du foutage de gueule, les vigiles jouent les gros bras, les barmans font la tronche.
    Les deux lieux ont un super sound system et une jolie programmation. On parle de deux villes aux cultures très différentes alors pq s’amuser à comparer ce qui ne peut pas vraiment l’être ?
    Quant au Berghain, on parle du Temple, il est à la techno ce que le Hadj de la Mecque est à l’Islam, un lieu de pèlerinage à fouler au moins une fois dans sa vie de clubber. Mais là aussi, autre lieu, autre histoire, autre culture.

    Rassurons-nous, la nuit parisienne fait toujours rêver les étrangers, et fait office de référence. A Londres par exemple, dire que l’on vient de Paris est toujours perçu comme un sacré privilège dans le milieu de la nuit, la note « classe » qui fait la différence. A Berlin un peu moins…. Arrêtons de nous lamenter, oui on a de beaux restes à Paris, over-boboisation et faux effet de mode (type Vanderlust) mise à part.

  14. akitrash sur 28/11/2013

    Fermeture administrative de l’espace B pour plus d’une semaine… Mais que fait notre maire de la nuit…
    C’est bien beau de parler, mais faudrait penser à agir!

  15. Olipe sur 30/11/2013

    Thibaut,

    Je suis d’accord avec ton constat, ça fait 2 ans que je me tue à répéter que Paris est en totale ébullition et qu’il faut arrêter d’essayer de ressembler à Berlin ou à Londres, nous n’avons rien avoir avec ces deux villes et on entend justement de là-bas qu’actuellement, c’est à Paris que ça se passe ! Et même si j’adore aller dans ces deux villes (le Berghain, come on !), j’en ai marre d’entendre que chez nous rien ne se passe, alors que justement il y a tous les collectifs que tu cites qui sont d’une vitalité sidérante et salutaire (allez encore au 6B ce week-end d’ailleurs si vous lisez ça à temps).

    Par contre du même constat, et c’est ce que j’avais répondu à Patrick Thévenin sur FB, je pense qu’il faut tout tenter pour freiner les nuisances des autorités. A savoir les fermetures administratives. Comme c’est écrit ci-dessous par akitrash, l’espace B vient de s’en prendre une du 29/11 au 6/12, juste pour une plainte d’un riverain, alors qu’ils se cassent la tête à faire une prog géniale et sont un ilot de créativité et de convivialité sur une poignée de rues qui en manque.
    Mais aussi effectivement les transports : notre métro doit ouvrir toute la nuit le week-end comme dans les autres grandes villes du monde, ça ne ressemble à rien de ne le faire que pour la nuit blanche qui concentre hypocritement les pseudos bonnes idées sur une seule nuit. Et ce au-delà du périph, ça va de soi.

    Bref la fonction de maire de la nuit pour moi doit justement tenter de produire cette liberté supplémentaire pour tous les collectifs, pour ceux qui veulent en profiter et par extension pour ceux qui veulent simplement sortir sans que ça ne s’apparente à un casse tête (y compris en termes de tarifs). Et je ne pense pas que ça touche qu’un petit groupe de privilégiés.

    Anyway, c’est pour ça que je me suis aussi présenté à cette élection, autant que pour pousser plus loin ma démarche de documentation de la nuit, au gré d’articles que je publie chez qui veut bien prêter tribune à mes observations. J’y suis allé un peu à reculons parce que ça demande beaucoup de temps et que je ne suis pas encore complètement persuadé de la pertinence ni du potentiel de la démarche. Ca tombe bien, je n’ai pas été élu. Même si ça m’aurait flatté, c’est mieux pour ma santé physique ! Vu que j’ai un boulot à plein (plein) temps, je n’aurais pas tenu le rythme médiatique qui est imposé à Clément. Et même si je suis pas Clément et que nous n’avons pas les mêmes personnalités, au-delà de votre échange ci-dessous, je pense qu’on ne peut pas réduire sa fonction à ce que tu écris dans son article : la défense d’une bande de petits clubbers privilégiés. Ne serait-ce que par la nature de ceux qui ont porté ce projet (Eric Labbé et culture bars-bar, une association de bars qui se bouge admirablement, justement au-delà du clubbing).

    That’s all for me.

    Et à part cette divergence de point de vue, je trouve ton article plutôt bienvenu par ce que tu y exposes.

    So long donc !

    Olipe

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Hier, sans aucune forme de prétention, nous cherchions à transcrire et à réfléchir notre époque. Curieux et audacieux, défricheur passionné, nous  explorions  sans oeillères et à travers un contenu éditorial toujours riche
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