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Sylvain Darrifourcq l’interview, part 1

today19/10/2018 324

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On a discuté un moment avec le batteur et compositeur Sylvain Darrifourcq, à l’occasion de la sortie chez Gigantonium, de Coïtus Interruptus, le second album de son trio In Love With. La conversation, qui s’est tenue l’été dernier sur une terrasse ombragée de Montreuil, ayant duré un peu plus longtemps que prévu, nous publions l’entretien en deux parties.

Est-ce que tu peux nous parler un peu de cet album, Coitus Interruptus ?

On travaille ce nouveau répertoire depuis novembre 2016. L’idée était assez claire depuis le départ : faire une musique très segmentée, compartimentée, à l’image d’une certaine littérature…

In Love With n’est pas ton seul trio mais c’est l’un de ceux dans lequel tu t’impliques le plus.

Ça fait partie de ces groupes que j’appelle ma chair, vraiment. C’est mon groupe au sens où j’écris la musique, je dessine une esthétique. Ne serait-ce que faire le casting (cf. Valentin et Théo Ceccaldi), ça a déjà été un choix esthétique.

Pourquoi avoir choisi ces musiciens-là ?

Ça s’est fait en deux temps. En premier, c’est le lien exceptionnellement fort que j’ai dans ma vie, et je pense dans ma carrière, avec Valentin (Ceccaldi, violoncelle) qui est quasiment devenu… c’est peut-être péjoratif de présenter les choses comme ça mais qui est quasiment un prolongement de moi.

Ce n’est pas votre seul trio, tous les deux.

Je crois que c’est ce que j’ai toujours cherché, quelqu’un qui serait un peu mon complément. Il me sent, c’est physique ! C’est une vraie relation physique. On a développé une chose très particulière au sein du MILESDAVISQUINTET!, qui était déjà en amorce ailleurs mais qui a pris toute sa plénitude dans ce projet-là : c’est cette façon de jouer de la percussion « polymétrée ». Ce qui est peut-être assez exceptionnel chez lui, c’est qu’il joue du violoncelle. Il a vraiment transformé son violoncelle en instrument de percussion.

Et, pour les avoir vus plusieurs fois, je voulais faire jouer Valentin et Théo ensemble avec mon trio. Théo, j’adore l’intensité qu’il est capable de mettre avec son instrument. C’est quelque chose que j’ai avec Valentin, cette capacité à s’user physiquement, et j’avais l’intuition que Théo était capable de ça, avec un son très fort, à 2 cordes. Je voulais profiter de l’osmose qu’ils ont tous les deux, et d’arriver à quelque chose de très fusionnel.

Comment est-ce que tu situes ce disque par rapport au premier, Axel Erotic ?

Dans un monde idéal, le premier n’aurait pas existé.

Tu n’en étais pas satisfait ?

Je voulais éviter la musique narrative et j’ai fait un album de musique narrative. (rires) Peut-être par manque de temps, par désir de jouer avant tout et d’éprouver le groupe sur scène. Il fallait fabriquer le son, les automatismes… et pour fabriquer tout ça, j’ai vite bricolé ce répertoire dans lequel j’ai commencé à amener de nouvelles choses. Ce disque est comme une loupe sur les deux ou trois morceaux du premier qui sont à mon sens aboutis.

Lesquels ?

Ça serait Sexy Champagne et Le Bousier, ces choses déjà très découpées, géométriques. Une des matières premières de ce disque, ça a été mes anciennes compositions. J’ai étalé tout ça par terre et je me suis dit : tout ça, c’est ma vie, ça a eu un sens quelque part, à un moment donné, mais c’est aussi une matière première. C’est comme des morceaux de temps, je vais en extraire des microsecondes ; une seconde et demie ici, deux secondes là, et ainsi de suite. J’ai tout découpé et j’ai commencé à recoller les choses de façon anarchique. Ça a fait une sorte de canevas à partir duquel j’ai recommencé à écrire de la musique

Boulez considérait ces œuvres, je crois – mais il ne doit pas être le seul – comme des ensembles d’idées fixées temporairement, à un moment donné, qu’il pouvait être amené à développer, reprendre, amplifier selon ses besoins.

Oui, ça a été vraiment cette façon de jouer. Tu sais que ce sont des idées chères à Antonin (Tri Hoang), l’idée du souvenir, du delay, de ce qui revient sous une autre forme. Et il y a une autre idée. C’est que, contrairement au premier répertoire où j’ai échoué, j’ai essayé de me tenir à cette idée de non-narrativité, et pour ça il a fallu faire s’entrechoquer toutes les matières de façon très monolithique. J’ai exclu, enfin pas totalement, j’ai enlevé tout ce qui pouvait être un peu courbe, rond, de l’ordre de l’évolution. J’ai plutôt voulu des frontalités, les différences se font par entrechoquement plus que par évolution des matières. Une des autres idées très importantes ça a été l’intensité physique ; tout doit être joué avec une intensité très forte.

Et ça, Valentin et Théo, ça devait leur parler ?

C’est quelque chose qui s’est mis en place dans le premier répertoire au-delà de ces insatisfactions compositionnelles. La réussite, ça a été de jouer de manière extrêmement engagée, intense.

Tu parles aussi d’une musique qui ne veut jamais finir.

Ça fait partie de mes obsessions. La narrativité suppose toujours un début, une fin, et pour éviter de tomber là-dedans, la solution que j’ai trouvée, c’est faire que chaque fragment qui va être joué soit joué comme s’il avait été découpé dans un temps infini. La première expérience que j’ai eu de cette musique, je l’eue en écoutant de la techno quand j’étais ado. Mais je crois que je l’ai intellectualisée à partir de la musique de Coltrane, notamment d’un morceau qui s’appelle Chasin’ the Trane, sur le Live at the Village Vanguard. Quand ça commence, c’est déjà d’une intensité incroyable, et puis ça s’arrête n’importe comment, comme ça, il faut que ça s’arrête donc ça s’arrête. Ça donne l’impression d’avoir été taillé à la serpe dans un morceau infini qui pourrait durer, je ne sais pas… et paf, ils en ont coupés quinze minutes qu’ils ont foutues là !

C’est quelque chose qui m’a marqué, très fort, mais dont je ne me suis pas forcément servi, enfin pas consciemment. J’ai fait des expériences comme ça, quand j’ai découvert le free jazz, et puis après avec d’autres musiciens. J’avais un groupe qui s’appelait Nux, avec Julien Desprez, Eve Risser et Benjamin Dousteyssier. On faisait des murs de son d’une heure mais passé la satisfaction de l’expérience, il y avait ce manque de composition, de structure, ce manque d’idées finalement ! C’était juste de l’énergie brute, l’énergie brute ne se suffit pas par elle-même. Ça peut avoir quelque chose de très jouissif mais c’est une jouissance partielle, qui touche au corps mais qui n’englobe pas l’esprit, enfin à mon goût il me manque une dimension.

Quand tu dis « intellectualiser », allier cette démarche très segmentée, réfléchie, mesurée, et une recherche d’infini, ça peut être contradictoire, non ?

Je ne sais pas quoi répondre, je ne vois pas la contradiction. Tu voudrais dire qu’il y aurait comme une exclusion entre l’idée d’énergie infinie et l’intellectualisation ?

Tu parlais de Coltrane, qui avait un rapport très spirituel à sa musique qui est devenu peut-être de plus en plus perceptible au fil des disques. Il y a d’abord un jeu très technique, et puis, au fur et à mesure, comme un renoncement partiel à cette perfection, à ce contrôle absolu qui laisse de la place à un souffle plus free. On voit aussi qu’il ouvre son groupe à des musiciens de passage, certains qui reviennent, d’autres non. Aller vers l’infini, ça pourrait être accepter de céder le contrôle face à quelque chose qui est plus grand que soi.

C’est là où la fragmentation et la composition viennent faire contrepoids à cette idée d’infini tout droit, justement. Il y a des choses qui reviennent à dessein, qui font des jeux d’allers-retours. On s’engage dans le disque pendant, je ne sais plus, quelques minutes, dans une illusion d‘infini, en se disant « putain, on va bouffer ça pendant combien de temps ? ». Et en fait non, pas du tout ! Ça va s’arrêter très brutalement, on va passer dans un autre infini, qui est une matière plus percussive, polyrythmique, et d’un coup tout le temps va s’accélérer, on va partir dans toutes les directions jusqu’à arriver à un autre point, etc. L’idée ça serait plutôt de juxtaposer des possibilités d’infini, qui vont toutes être traversées par une tension mais il n’y en a aucune qui serait la référence absolue.

Chacune de ces possibilités représente un monde, une façon de penser une énergie infinie, toutes avec un caractère différent. Ça va être une avec une énergie très brutale, très forte, très rock, une autre beaucoup plus détendue, machinique, une autre plus statique ou plus en mouvement. C’est en ça que ça ne s’exclut pas forcément, la conceptualisation et cette idée de l’infini, c’est juste qu’on pourrait jouer entre plusieurs idées de l’infini.

Photo : Sylvain Gripoix

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Écrit par: Oiseau Anton

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