Wordshoot

On y était : Hiero Supersound Festival à Colmar

today17/04/2014 182

Arrière-plan
share close

Cobra par 4RSC
Photos © 4RSC

Hiero Supersound Festival à Colmar, du 3 au 5 avril 2014, par Sonia Terhzaz

Comment résumer ce qui s’est passé le ouikende dernier sans penser au film Groundhog Day, trois jours sans fin (3, 4 et 5 avril) où nous réitérerions inlassablement les mêmes activités du bon festivalier : se lever, crier famine, manger du gras, boire des bières, digérer sans effort, aller à la fête foraine, serrer la main du maire, aller au concert, huer et acclamer, boire des bières jusqu’à finir dans une civière. C’est, à peu de choses près ce qui a caractérisé ce feuilleton hiero-colmarien, saison 2014 épisode 22.

C’est en 1992 que naît la Fédération, dans une  ville alors en manque de « lieux associatifs pour les jeunes ». Et de cette « frustration » a émergé  la grande fédération colmarienne, à la programmation digne des conquêtes mandchouriennes, bravant toutes les difficultés pour entraîner dans ses filets autant de formations incontournables et de figures emblématiques. Il suffit de consulter l’historique 1992-2003 de l’épopée Hiero pour prendre la pleine mesure de cet engagement artistique permanent. Quel n’a été mon étonnement, en découvrant qu’Arthur Lee figurait également à ce beau palmarès, en 2004 précisément, soit deux ans avant sa disparition… Du coup j’ai réenclenché mon convecteur temporel pour écouter le Five String Serenade de 1994 et c’était Mazzystral !

Pour l’inauguration de cette nouvelle édition, le Hiero Colmar s’est acoquiné avec la Chatte à la Voisine toulousaine, lui a donné carte blanche, et de cette union a émergé une belle programmation, teintée de consanguinité, puisque certains de ses membres fondateurs sont en réalité issus du même bassin alsacien. C’est le cas du « fondateur, président et cuisinier », ce bon frère Jacques Tschiember qui, avec sa meute, était invité à semer le trouble, la discorde, le chaos dans la quiétude monacale de cette ville bas-rhinoise. La Chatte se consacre depuis déjà dix ans à l’exploration et à l’organisation de nombreux concerts indé dignes de ce nom. Parmi ses plus hauts faits d’armes, nous pouvons  citer Yo La Tengo, Jonathan Richman, Daniel Johnston, Jeffrey Lewis, Shellac et prochainement Neutral Milk Hotel, la Chatte restant ouverte… à de nouvelles explorations !  Telles que : The Brunettes, Oh No! Oh My!, Party of One, Happy Jawbone Family… Mais quittons ces sous-entendus salaces pour retrouver le corps du propos.

K Johnson par 4RSC

L’inauguration du Hiero Supersound s’est faite sous les meilleurs auspices avec un Calvin Johnson n’ayant rien perdu de son flegme magique, de sa voix blasée et de son déhanché. Le concert tenait place à l’Atelier, un vieux bel entrepôt abritant encore outils en tout genre, enclumes, pressoirs, marteaux, cisailles, ferrailles, vieilles cartes du monde ou de la région devant lesquelles Calvin s’extasiait « nonchalamment » entre deux chansons. Un chouette lieu que l’on voulait contempler longtemps. Dans la cour, la saucisse de Toulouse cuisait et était distribuée par prosélytisme, parce que non seulement fallait-il nous coltiner la compagnie toulousaine ô combien importante, pour ne pas dire envahissante, mais aussi déguster leur charcuterie midi-pyrénéenne, alors même que nous étions accueillis dans le plus grand bastion de la saucisse. Une posture blasphématoire, régionaliste mais symbolique, car la Chatte régalait !  Quand on sait, d’autant plus, que Calvin est un « vegan » de la première heure.

Bien bonne la saucisse.

Calvin Johnson s’émouvait de voir autant de gens réunis dans ce petit lieu associatif.  S’agissait-il d’un pur hasard, d’un simple concours de circonstances ? Quel affront de nous prendre pour des cons ! Les gens étaient bien là pour lui, pour le voir une nouvelle fois – il avait déjà joué en 2007 et 2003 – et pour entendre sa voix si caractéristique, faussement soporifique, particularité renforcée par l’aspect vitreux de ses yeux et la mine légèrement renfrognée, le regard blasé à la Bill Murray, faisant mine de râler. Et lorsqu’il se met à danser et gesticuler, interrompant par la même occasion son jeu guitaristique anti-performant, il reste flegmatique par opposition au déhanché jonatho-richmanien, plus léger et latin, et au jeu de jambes aérien. L’embonpoint substantiel d’un Calvin Johnson ayant dépassé la cinquantaine n’aide en rien, mais lui confère ce petit charme porcin qui n’était pas pour me/nous déplaire. Il évoquait quelques anecdotes associées à certains morceaux, tel le Mint Ice Cream du deuxième album de Ruby Fray, édité par K Records, chanté en duo avec Emily Beanblossom et qu’il nous a interprété ce soir-là, en nous racontant, par la même occasion, comment il s’était retrouvé à visiter un village perdu de l’Illinois pour avoir rencontré une fille un an auparavant. Il y avait commandé une glace à la menthe puis s’était fait prendre en photo, posant fièrement avec sa glace, arborant un sourire de circonstance pour la lui envoyer, alors qu’elle l’avait déjà sans doute oublié. Cette dernière, en recevant la photo, l’avais pris pour un timbré et Calvin demanda ce soir-là si c’était vrai. C’était l’unique concert de la soirée. Pour rester dans le registre culinaire, Johnson nous a interprété le Shake-A-Puddin qui apparaît dans l’album des Dub Narcotic Sound System, Boot Party, titre répété inlassablement au cours de la chanson. C’est bien là une habitude chez lui puisqu’il s’agit d’une de ses particularités, à l’instar d’une chanson minimaliste qui utiliserait de courts motifs mais chantés cette fois-ci. Ah ! Et la reprise de Diamonds Are Forever de John Barry, interprétée à l’origine par Shirley Bassey pour James Bond, valait son pesant d’or. Sans doute s’était-il décidé à l’interpréter après avoir avoué quelques années auparavant qu’elle était une de ses chansons karaoké préférées.

Shady and the Vamp by 4RSC

Après une première cuite bien méritée, et la voix de Bonnie Tyler  qui commençait à poindre, il fallait se remettre d’aplomb le lendemain après-midi : balade en barque, bar à saucisse, bière météore et tout est redevenu sain et anodin. La suite des festivités fut lancée avec la prestation des Avignonnais de Pony Tailor (dont le nom fait référence à celle précédemment évoquée), de la flower british pop française édulcorée, avec des projections évoquant les light shows psyché des années 60, une reprise pertinente d’Insterstellar Overdrive à la fin, mais une énergie involontairement en retrait, un public également qui l’était, sans doute en quête d’un sursaut violent pour le réanimer… Not my cup of thé.  En revanche, la power pop des Londoniens de Primitive Parts, qui ont ensuite enchaîné dans la petite salle du Grillen, nous a franchement excités. Hell yeah! Quelle n’a été notre surprise et notre enthousiasme à l’écoute de ces petits vauriens – appelés Lindsay Corstorphine  ex « Sauna Youth »,  Kevin Hendrick et Robin Christian, anciens membres de Male Bounding – dont la musique pourrait être le fruit d’une union musicale secrète entre les ennemis intimes du Brian Johnston Massacre et les Dandy, sous l’absolution sacrée d’un Graham Coxon. C’est Luc issu de la Chatte qui les avait repérés sur Stereogum et l’association les a conviés à Colmar, pour leur premier concert hors de leur île britannique. C’était un concert assez parfait pour un petit groupe encore méconnu, pas de sortie d’album mais des singles avec des morceaux qui deviennent très vite entêtants tant le rythme est bon – Signals / Open Heads sur Sexbeat Records – pas de tournée à l’étranger en perspective pour l’été – mais ça ne saurait tarder. Ensuite, we shook our booty sur Shady and the Vamp, du garage punk rock suisse dans la plus pure tradition (pas en Suisse), une impressionnante succession de morceaux de moins de deux minutes et une structure rythmique typique de l’album éponyme des Ramones. On pouvait d’ailleurs souligner la troublante ressemblance du guitariste de Shady, Jules the Juvenile avec Johnny Ramone, à la différence que celui-ci n’imposait aucune tenue vestimentaire stricte à ses autres musiciens, permettait ainsi au batteur Alpha Junior d’arborer un style plus bigarré avec son T-shirt de Yussuf Jerusalem. Sans commentaire pour le bassiste Rickety Rocket Rickety Rocket, blaaaaaaasssssst offffffffffffff ! Puis Marvin a déboulé avec son gros son, et nous en a mis plein les oreilles avec sa triangulaire sacrée batterie/guitare/clavier, du progressive noise rock électro, tambour battant, plutôt épique comme prestation (musicalement du moins), et même hardrock par moments. Nous sommes immergés dans le son, dans une quête de totalité, happés par les pulsations, mais cette totalité ne semblait pas complètement réalisée… Sans doute manquait-il ce supplément d’étrangeté qui tendrait à nous faire prendre la raison. JC versus Satan.

Les concerts se sont finis en musique avec les chouettes DJettes de la Chatte à la Voisine, Elsa et Amandine et, en dépit d’une sélection de premier choix, l’ambiance n’a fait que péricliter. Mais lorsque les constituants d’une masse liquide se regroupent pour former une masse plus compacte, elles se mettent inévitablement à coaguler, et le troisième soir, tout est devenu noir et goudronneux… On a plongé dans l’obscurité puis progressivement dans les ténèbres, avec l’inauguration d’un Messy C Parker frappant du tambour pour annoncer la funèbre oraison, la fin du règne de César et l’avènement de Caligula. Cette formation, à l’origine composée de deux membres bien entiers, s’est retrouvée amputée puisque seul Grégoire assurait l’office ce soir-là mais avec dévotion et abnégation. Sa tunique romaine le rendait impérieux et ses tatouages crapuleux mais il a réconcilié les deux pour atteindre le firmament. Il enregistrait des samples au clavier qui étaient ensuite répétés et l’accompagnaient pendant qu’il jouait de la batterie, tapant lentement, progressivement puis comme un dément, avec une énergie et une intensité en gradation, vraiment prenant.  Puis les Eagulls de Leeds ont débarqué et la guerre des gangs aux noms d’animaux a commencé ; pas de « Eagle vs Shark » cette soirée, mais versus Tigre et Cobra. Ils ont fait fort et peur pour commencer les hostilités avec leur new wave new rage. Certes, la voix plaintive et torturée de George Mitchel peut paraître d’emblée quelque peu surfaite, car par trop référencée – d’autant plus que Leeds est un bastion important du post-punk mouvement avec Gangs of Four, The Mekons, The Expelled… mais aussi de la scène gothique avec les Sisters of Mercy – mais elle s’est incessamment imposée. Après avoir sorti plusieurs EP et singles, ils se sont attelés à un LP, Eagulls – que l’on vous fait gagner par ici -, chez Partisan Records, sorti en mars 2014 dont ils ont joué quelques morceaux – parmi eux, les très bons Coffin ou Moulting. Ce n’est peut-être pas LE SON qu’on attend impatiemment, mais l’équilibre sonore était tout de même très excitant. Tous les éléments étaient parfaitement ordonnés de façon à composer un bel ensemble dissonant !  La basse était vraiment belle et assourdissante, dans la pure tradition. Tom Kelly et Liam Matthews, le guitariste au look nostalgique grunge 90’s, se marraient bien en regardant danser, un Mickey Rourke période The Wrestler, au premier rang, faire du headbanging à fond et s’agiter comme un dément. On était d’ailleurs tous en admiration devant son corps imposant et luisant.

Hiero 4RSC

Puis Les Tigres du Futur ont débarqué ! Warriors, come out to play-i-ay comme dirait Luther dans le gang movie  fin 70’s The Warriors ou les Guerriers de la nuit, et leur garage progressif psyché aux accents métal, ponctué d’extraits vocaux sortis d’outre-tombe, nous a envahis, nous plongeant dans les méandres de l’enfer mécanique des morts vivants. Une belle transposition dans le temps, dans l’ère du Giallo et du rock progressif italien, dont les bandes originales mythiques restent gravées, des films de science-fiction de série B et de toute cette esthétique surannée mais fascinante pour son inventivité.  Et ce sont ces figures aujourd’hui disparues, tombées en désuétude mais au souvenir vivifiant, que les Tigres, sous la houlette du démiurge Jo-Bernard Castagneri, réactivent dans leurs illustrations sonores. Et quel n’a été notre engouement quand ils nous ont balancé pour de vrai tout cet héritage ! Un vrai carnage. Mickey Rourke en dirait autant s’il n’avait pas été si occupé à danser le Ninja Twist.

In ancient times, hundreds of years before the dawn of history lived a strange race of people, no one knows who they were or what they were doing but their legacy remains Hewn into the living rock  of… Allez savoir pourquoi j’ai mis ça là. This is Spinal Tap.

Mais c’était finalement toute l’énergie du heavy metal originel qui transparaissait, dans les tréfonds de leur inspiration, son aspect brut et sauvage dont Cobra nous a ensuite prodigué les enseignements, dans le recueillement et la dévotion, pour espérer le retour de Lucifer et de Satan. Cobra ! Non pas le groupe de hard rock néerlandais 70’s que je suis en train d’écouter, mais Le Cobra qui fait sujet à discussion, au sein même de son propre clan. Est-ce du métal pur, du métal dur ou un tas de fumier pédant ? Peut-on l’inscrire légitimement dans cette longue généalogie du MAL incarnée dans la musique heavy métal ? On pourrait néanmoins souligner le fait que dès qu’une représentation s’inscrit dans une tradition, qu’un récit reprend des codes, la mémoire textuelle et visuelle a tôt fait de se montrer parodique, elle n’en est pas pour autant moins acerbe et authentique. Par exemple, avec Pédés et Drogués, qu’ils nous ont d’ailleurs interprétés, nous pouvons ainsi aborder avec humour et légèreté un sujet ô combien difficile à cerner : la drogue dans les milieux gays. 1,2,3 degré ! D’ailleurs que Mickey Rourke, toujours au premier rang, semblait lui aussi très préoccupé par ce problème soulevé. Je ne le dirai pas à la manière de Patron dans Fluoglacial – C’est Cobra et c’est comme ça, et ceux qui sont pas contents, qu’ils aillent tous se faire enculer – mais j’inciterai vivement les sceptiques à aller les voir au Hellfest cette année, ils verront qu’on peut tout démystifier et résoudre les antagonismes. Je m’en vais sur ce, lire un peu sur les querelles ancestrales qui ont jalonné histoire du punk rock et du heavy métal. Eagulls vs Tigre vs Cobra ! Une vraie pétaudière. Et si l’heure était au combat tout est rentré dans l’ordre quand l’Hymne a retenti :

« Toi qui voulais
Toi qui voulais toucher
Toucher la chatte à la voisine »

Et moi pendant ce temps, je me droguais, pour célébrer les 20 ans de la mort de Kurt Cobain.

Écrit par: hartzine

Rate it

Commentaires d’articles (0)

Laisser une réponse

Votre adresse email ne sera pas publiée. Les champs marqués d'un * sont obligatoires

HZ since 2007

Hier, sans aucune forme de prétention, nous cherchions à transcrire et à réfléchir notre époque. Curieux et audacieux, défricheur passionné, nous  explorions  sans oeillères et à travers un contenu éditorial toujours riche
et exigeant l’ensemble des strates qui composaient le monde bouillonnant de la musique indépendante, ses marges souvent nichées dans le creuset du web comme le halo médiatique qui entourait certains. Mais çà c’était avant. Aujourd’hui, on fait ce qu’on peu !

Contact us

doner dooner

dieu vous le rendra….

0%