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On y était : Musiques Volantes aux Trinitaires

today27/11/2015 68

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On y était – Musiques Volantes le 6 novembre 2015, Les Trinitaires, Metz

Assister à la soirée violente des Musiques Volantes, c’était vivre cinq heures de la surdité progressive d’un ouvrier sidérurgique chinois, ou franchir l’Atlantique planqué dans le train d’atterrissage d’un long courrier. Un cimetière de tympans noyé de sueur et de bière. Wire, J.C. Satàn et T.I.T.S réunis dans une même soirée à 110 décibels ponctuée de projets noise, drone et punk, la virée promettait de toutes façons de désensabler nos portugaises, on le savait et on le voulait.

Tout commence pourtant sobrement par Nibul, un duo à la tradition bruitiste mâtinée d’ambiance ethnique et partagé entre saxo et batterie de fortune. Les complaintes interminables et sirupeuses de la drone cuivrée, secondées par un fond sonore ronronnant et chuintant émanant du binôme séquenceur/disto, sont secouées par les soubresauts rythmiques du batteur qui semble tout autant succomber à la transe générée par l’atmosphère musicale qu’à une expérience mystique sous ayahuasca. Le contact avec le public se crée rapidement et ne fait pas défaut sur toute la longueur du set improvisé, tant le fond expérimental et progressif du tandem peine à lasser. La transition est incertaine une fois la chapelle atteinte et les premières notes de Destroyer égrenées: il y a tout un monde entre une formation binaire bruitiste et le simili-orchestre de pop composé de Dan Bejar et ses sept musiciens. Les prods du Canadien sont fignolées aux petits oignons, le backing band joue à la croche près, et bien que fortement malade et limité dans son chant, Dan se donne beaucoup de mal pour assurer un set raccourci à 45 mn au lieu de 80. Mais la sauce trop coulante ne prend pas, une partie du public scande et s’enthousiasme mais l’approche mielleuse fait tache dans la programmation et décourage les masos qui attendent de saigner des oreilles. Ce n’est pas le bon groupe pour la bonne soirée, ou l’inverse, et c’est sur le terme de “fromageux” soufflé par une voisine et validé par l’assemblée qu’on s’extrait promptement de la salle pour gagner le cloître et se délecter de Fort Crèvecœur.

Destroyer © Damien Electrophone

Destroyer © Damien Electrophone

Comme Nibul, avec qui ils partageaient ce soir là le projet Raga du Soir en Trois Mouvements, Fort Crèvecœur est un duo noise à prédominance folk minimale. Face à face sur leurs chaises respectives et ceints par le public, les deux bruitistes réduisent leur appareil musical au cheap le plus rudimentaire, communiquant tour à tour et parfois de concert, qui avec un banjo à cinq cordes ponctuellement joué à l’archet, qui avec un Mélodica Bontempi vintage ou un harmonica. Le fond sonore, diffusé par un lecteur/enregistreur de l’âge de son propriétaire, oscille entre field recording naturel et sons dissonants dans une version concrète de musique de chambre qui impose à l’assistance un silence respectueux et contemplatif. La rythmique elle-même est atténuée, discrète, jouée à même la cuisse, s’élevant progressivement sitôt que la chaise sert de caisse claire, un chapelet de cloches jouant finalement le rôle de charley de fortune. L’atmosphère est sourde et intime, et le public finit assis, dans le calme, comme de bons élèves. La torpeur, repoussée par une ou deux gorgées de bière, est définitivement balayée par le punk empoisonné d’Avale, duo de messines autoqualifié d’“amour froid” se répartissant basse et batterie dans une ambiance bitchy agréablement surjouée. Le set commence dans la retenue malgré les maracas qui tombent lourdement sur les fûts de la batteuse, et la fausseté du chant associée à l’espace du caveau résonnent comme un concert de squat, quand bien même on ne peut pas allumer sa clope. Soutenues par leurs expériences respectives dans des groupes locaux, les deux garces au look rockab ne manquent ni d’humour ni de technique, mais Avale ne crache pas: même avec des amorces plus que correctes, les morceaux peinent à décoller et sur la longueur la motivation s’estompe doucement — il faudra la folie dévastatrice de J.C. Satàn dans la chapelle pour se dégourdir les mollets.

Avale © Damien Electrophone

Avale © Damien Electrophone

Que dire du quintet garage rock qui n’ait déjà fait l’objet de multiples reports? Fidèles à leur réputation et malgré une chaleur tenace dans une nef au bord de l’Enfer sonore, les Bordelais déversent leur psychédélisme méphistophélique sur un parterre de bigots transformés, reprenant dévotement leurs paroles et implorant la damnation. On croit un instant assister à une cérémonie sacrificielle lorsqu’une pécheresse en courte bure tente d’agiter sa choucroute blonde sur scène, mais elle est prestement rejetée dans les abysses soufrés de la fosse, rejoignant le commun des succubes pour assister à la fin du concert qui s’achèvera, comme de bien entendu, torse nu dans les vapeurs de sueur et d’alcool. En aparté de l’intensité satanique se tenait dans le cloître la troisième et conclusive performance du triptyque Raga du Soir en Trois Mouvements, cette fois menée par Gugayage, un autre duo à l’approche noise mais à dominante techno dont l’énergie finira par pousser une partie du public à entamer une queue-leu-leu imprévue et franchement drôle sur fond de micro réverbéré et de minimale tirant parfois vers l’IDM. Retour au caveau pour découvrir les Montréalais deChocolat en live, dont l’album Tss Tss, lui-même enregistré en live dans la foulée de quelques répètes, avançait une psyché garage aux ressorts progressifs. Mené par Jimmy Hunt, dont les antécédents cheesy imprègnent les compositions sans toutefois les transformer en guimauve, le groupe balance un set rôdé mais pas lisse, basculant facilement d’une texture pop un peu lustrée à un garage discordant fondu au larsen. Hunt, les bras noueux écorchant sa guitare et à moitié caché derrière des lunettes de presbyte, jabote ses maigres versets en anglais comme en français d’une voix à la limite de la féminité, dans une ambiance hypnogène et douillette qui étourdit à peine tant elle reste cachée au milieu des saturations et des élans frénétiques du clavier.

JC Satan © Damien Electrophone

JC Satan © Damien Electrophone

Gagnant les tympans les plus profonds, la saturation sucrée des Canadiens finit d’être boursouflée par les Britanniques de Wire dans un élan transatlantique de solidarité acouphénique. Entre punk et art rock, feedbacks enthousiastes et synthétiseurs expérimentaux, Wire a contribué à graver les microsillons de la sainte galette post-punk et enfanté presque autant de sous-genres que d’enfants terribles. Wire en live, c’est reprendre quarante piges de circonvolutions métalliques, c’est toucher du doigt l’atemporalité du rock dans ses déclinaisons les plus empiriques et alternatives, c’est… visiter un musée du classicisme. À l’exemple du mouvement pictural, une fois l’intellectualisation mise derrière soi, une fois le plaisir prêt à recouvrir la moindre parcelle de réflexe analytique, reste un arrière-goût de déjà-vu regrettable prenant la forme d’un set ultra propre, où la crainte du moindre pain empêche le quatuor londonien d’oublier un temps son perfectionnisme pour se lâcher un peu, obligeant un public pourtant acquis à sa cause à se focaliser davantage sur le détail technique que sur la composition générale, histoire de ne pas s’ennuyer avant de passer au tableau suivant. La répète était parfaite, vivement le concert. Autant dire que c’est sur T.I.T.S, derniers à se produire sur les coups d’une heure du matin, que se portaient nos espoirs de conclure la soirée en bousculant un peu la bière du voisin. Une pression qui n’a effectivement pas empêché le groupe de nous faire renverser les nôtres, le quatuor aux horizons divers (Catholic Spray, The Feeling of Love, Pierre & Bastien, Chimiks) se renvoyant la patate chaude cacophonique dans un exemple strident d’orgie garage aux effluves punks panachés de sueur. Boostés par l’acoustique catacombesque du caveau, les accords lo-fi frisant l’indéfinissable se répercutent sur la voûte basse et les corps chauds, pourrissant définitivement et dans la plus grande allégresse les reliquats de nos nerfs auditifs. C’est brutal et intense comme une claque sur le cul pendant le coït, et suffisamment addictif pour justifier un rappel malgré la fatigue et la chaleur. T.I.T.S finira par nous laisser vannés, essorés, les esgourdes empâtées et les pattes engourdies, mais ravis de cet épilogue à la plus dissonante des soirées de cette vingtième édition de Musiques Volantes.

Wire © Damien Electrophone

Wire © Damien Electrophone

Écrit par: Ted Supercar

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