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En parallèle de ses projets Egyptology, Centenaire et Karaocake, Stéphane Laporte continue son odyssée expérimentale sous son alias Domotic. Inspiré par ses vacances à la Ciotat et composé sur un 4 pistes chiné sur le Bon Coin, Smallville Tapes est un cinquième album poétique et instrumental qui convoque les fantômes d’Ennio Morricone et de François de Roubaix. On a décidé d’en savoir plus sur la genèse de ce chef-d’oeuvre.
Comment s’est passé ton concert à la Maroquinerie ?
Pas trop mal, mais j’ai un peu merdé au niveau de la scéno… J’avais tenté de jouer au milieu du public il y a un mois, à l’Olympic, pour une soirée Err Rec et c’était très chouette, dans un petit lieu, en fin de soirée, tout le monde un peu chaud… J’ai vraiment bien aimé, c’était assez amical comme disposition, donc là j’ai voulu recommencer, sauf que je jouais en premier, et pile à l’heure ! Les gens sont restés loin derrière moi, je me suis senti un peu seul et le public a dû se demander qui était ce gars qui voulait jouer dos au public. Je joue en solo électronique, un peu techno/ambiant, des choses qui sonnent un peu comme les Fourrure Sounds sortis chez Antinote, du coup il y a une grosse part d’improvisation, c’est très élastique. Je trouve des nouveaux trucs à la volée, c’est un exercice très sonore. Là , c’était limité à trente minutes donc un peu étriqué et pas vraiment adapté à ce genre d’exploration. Les gens ont bien aimé, cela dit.
L’exercice du live te plaît ou tu es plus intéressé par l’enregistrement ?
À la base, ce qui m’a donné envie de faire de la musique, ce sont les Beatles. Leurs disques en stéréo me fascinaient quand j’étais petit ; j’écoutais le côté gauche de Strawberry Fields et puis après le côté droit, ça mettait en évidence l’instrumentation et la construction du morceau, j’étais très curieux de ça. J’ai donc abordé la musique du côté enregistrement. J’ai fait une formation d’ingénieur du son parce que je ne pensais pas pouvoir être musicien et puis finalement, pendant ces études, j’ai commencé à enregistrer des morceaux avec mon petit synthé Yamaha pour m’entraîner et pratiquer le logiciel Pro Tools qui me plaisait bien. C’est devenu mon premier album, Bye Bye. Quand on m’a proposé de faire des concerts autour de ce disque, j’ai accepté et ça a été au départ un truc un peu douloureux, stressant, et puis après plein de mésaventures techniques en public et de concerts devant dix personnes, j’ai réalisé que faire un mauvais concert, ça n’est pas bien grave. Depuis, je suis plus détendu et j’aime bien ça. Ça m’a aussi permis de voyager pas mal et j’adore ça, voyager avec un projet, pas simplement en touriste ! Mais je crois que je préfère encore l’expérience studio qui me semble plus créative et aussi plus confortable. J’aime vraiment la phase d’enregistrement, la construction d’un morceau par couches, enregistrer des trucs en première prises et d’autres jouées trente fois avant d’avoir la bonne.
Tu peux nous expliquer la genèse de ce nouvel album ? J’ai entendu parlé d’un 4 pistes acheté sur un parking Auchan et de K7 achetées dans une station-service ?
Ça a commencé comme ça, effectivement. J’avais repéré sur le Bon Coin un vieux Tascam que je connaissais bien, et je l’ai acheté quand j’étais en vacances chez mes parents. Pour le tester, j’ai enregistré quelques pistes de batteries. Je n’avais pas grand-chose comme matériel, juste un micro et un casque, et des vieilles cassettes déjà overdubbées. J’ai mis le casque dans la grosse caisse comme un micro inversé, un SM57 sur la caisse claire et j’ai enregistré des batteries à l’aveugle en saturant un peu tout ça, puis quelques basses ou guitares quand j’avais des idées, mais c’était à chaque fois la batterie que j’enregistrais en premier –
j’en ai une chez mes parents mais pas à Paris où j’habite. Tout ça était fait sans métronome donc un peu bancal, il y a plein de moments où ça hésite, où le tempo bouge… mais quand tu écoutes une piste de batterie toute seule, c’est pas forcément évident.
Comment s’est passé le processus créatif ?
En rentrant de vacances, j’ai transféré ces bouts de batteries et ébauches de morceaux sur l’ordi ; j’ai trouvé ça pas terrible donc j’ai laissé ça de côté. Un an plus tard, alors que j’avais un peu de temps devant moi, je suis retombé dessus. J’ai plein de projets inachevés sur mon disque dur donc je me pose toujours la question de commencer un nouveau truc ou d’en finir un vieux. J’ai réécouté ces enregistrement que j’avais un peu oublié et j’ai trouvé que c’était plutôt cool malgré tous les défauts, le son de batterie me semblait chouette avec le recul, du coup j’ai commencé à essayer de construire des choses qui iraient sur ces rythmiques, couches par couches. De l’orgue, des guitares, des traitements sur la batterie, du synthé, etc. Ça s’est fait quasiment d’un seul jet, de manière hyper instinctive, sans aucune conscientisation, sans enjeu. C’était chouette d’avoir le temps de se perdre dans un projet, c’était une approche très fraîche et innocente, c’est d’ailleurs ce que je préfère dans ce disque, au de-là de la musique, c’est la spontanéité avec laquelle il est apparu. Presque comme un premier disque en fait, sans penser du tout à un public ou à un regard extérieur.
Comment décrirais-tu ce nouvel album ?
J’apparente ça à des chansons sans paroles. Il y a tous les ingrédients de la pop je crois, sauf du chant. J’aimerais bien parvenir à faire des vraies chansons mais je n’arrive quasiment jamais à écrire des paroles satisfaisantes. Je dirais donc quelque chose de mélodique, avec parfois des accords bizarres et des choses étranges, et un son un peu poilu, à l’ancienne.
Tu as eu des influences particulières pour Smallville Tapes ?
Plein d’influences, conscientes ou pas. Dans l’approche du disque, si, il y a des choses décisives, je dirais sans hésiter : Garage Array de Dylan Shearer, un super beau disque sorti sur Castle Face, le label de John Dwyer, avec plein de batteries qui ralentissent et se cassent la gueule et des magnifiques chansons, de beaux changements d’accord à la Syd Barrett. Sans doute aussi Beak> qui m’a bien décomplexé pour les roulements pourris et l’idée de créer une musique « réaliste » plutôt que calibrée – même s’il y a beaucoup de traitements sonores sur le disque et que le son n’est pas naturel. Sinon, mélodiquement, je pense qu’on entend, malgré tous mes efforts, Tortoise, Morricone, Radar Brothers, Can, François de Roubaix et les Beatles. J’essaye d’éviter d’être dans la citation ou le pastiche ceci dit, de trouver une approche un peu originale, mais leur influence sur moi est indéniable.
Mais pourquoi as-tu décidé de renommer La Ciotat, « Smallville » ?
Pourquoi pas ? J’avais déjà enregistré des choses là -bas il y a longtemps et j’avais appelé le projet Music From Smallville, mais je n’ai pas réussi à le terminer alors j’ai ressorti le nom… un peu comme Rimbaud et Charlestown à la place de Charleville, tu vois ? Histoire de coder un peu, de mystifier tout ça. C’était donc le nom de travail du projet : Smallville (La Ciotat) Tapes (cassettes).
L’artwork de l’album est magnifique. Tu peux nous en dire plus sur l’illustrateur, l’histoire derrière cette Å“uvre et votre rencontre ?
Merci ! J’aime bien les images en général et les vieilles photos en particulier, donc quand il a fallu réfléchir à la pochette, j’ai cherché des images dans des vieux bouquins à moi et je suis tombé sur cette collision entre l’image de la plage et l’autocollant avec le studio. C’était vraiment une épiphanie pour moi, ça représentait super bien ces quelques jours à La Ciotat où j’enregistrait les batteries dans ma petite pièce plutôt que d’aller m’amuser à la plage. Le contraste intérieur/extérieur, clim/canicule, vacances/travail, foule/solitaire me semblait bien drôle et correspondait finalement à la façon dont le disque est né. Ensuite j’ai donné une sélection d’images à Jean-Philippe Bretin, que je connais grâce à Karaocake, pour qui il avait réalisé un clip. On se croise depuis un moment – on a des amis communs -, il a travaillé sur la pochette d’un disque de Ricky Hollywood qui jouait de la batterie avec Egyptology pendant quelques temps. Il a repris et amélioré le collage de base, et a trouvé toutes les déclinaisons pour le dos et la sous-pochette. Il a vraiment su pousser l’idée de base beaucoup plus loin, ça correspond à ce que j’avais en tête sans le savoir : un geste assez brut, simple, un peu idiot et poétique. J’adore le résultat.
Où en est-tu avec tes projets parallèles : Centenaire, Karaocake et Egyptology ?
Centenaire est en sommeil profond, même si on reste amis. Chacun a moins de temps à consacrer au projet donc on a arrêté pour le moment. Karaocake a sorti un album chez Objet Disque l’année dernière, et on essaye de faire des concerts. Et Egyptology a enfin fini son album, on est très fiers, il devrait sortir d’ici quelques mois. Je joue aussi dans le « Morricone Moonshine Pop Ensemble », un groupe de reprises d’Ennio Morricone, et j’accompagne au clavier Xavier Boyer, chanteur de Tahiti 80 dont j’ai produit et mixé l’album solo l’année dernière.
Avec quinze années de carrière, on a l’impression que chaque album est pour toi un défi, avec à chaque fois un nouveau concept, avec des limites imposées. Tu le vois comme ça ?
Défi, c’est un bien grand mot, mais en effet j’aime bien essayer de ne pas me répéter. L’idée de travailler sous contrainte me semble intéressante pour renouveler un peu ma pratique et mon approche, ne serait-ce que de se trouver des limites matérielles comme le fait de travailler aux 4 pistes pour les Fourrure Sounds. Je trouve ça assez épanouissant au final de cadrer un tout petit peu les choses, ou plutôt désinhibant. C’est comme si tu n’étais pas totalement auteur de ton travail puisque quelque chose d’arbitraire a déjà tracé une direction pour toi. Du coup, l’enjeu semble moindre peut-être ; tu réagis à un matériel, une situation, plutôt que de pouvoir partir dans n’importe quelle direction. Ça oblige à prendre des décisions, faire des choix très tôt qu’il faut assumer et ça permet de ne pas se perdre dans des détails. De la même manière, j’aborde un peu la composition comme ça, en me disant par exemple « la ligne de basse de ce morceau ne va faire que monter », ou bien « elle va utiliser toutes les cases de la corde de mi à un moment ou à un autre ». Il y a aussi un morceau où je tente de faire toutes les permutations majeur/mineur sur deux accords en boucle. Ce sont des petits exercices idiots mais qui aident à suivre une direction, après j’essaye de trouver des mélodies qui vont faire sens sur ces choix de compositions un peu arbitraires.
Beaucoup d’artistes, comme Forever Pavot, te citent comme une référence culte, mais tu restes encore un artiste de l’ombre. Cette place te convient-elle ou c’est parfois frustrant ?
Ouh là là … culte, je pense que tu vas un peu loin. C’est sans doute juste dû au fait que je persévère malgré l’absence de succès. J’aime faire de la musique, c’est vraiment des moments privilégiés quand tu travailles sur quelque chose de personnel, tu t’oublies un peu, tu sors du temps, tu produits quelque chose sans avoir l’impression de travailler. J’adorerais pouvoir me consacrer pleinement à la musique, sortir des disques plus facilement et plus vite. Je rêve du salaire universel pour ça, d’ailleurs ! Donc oui, parfois je suis insatisfait parce que je suis obligé de faire d’autres choses alors que j’aimerais bosser sur un morceau à la place mais bon, je n’ai vraiment pas à me plaindre.
Avec tout ces projets et ta participation à d’autres groupes, que fais-tu quand tu ne fais pas de musique ?
Je donne des cours de son et video dans une école d’arts appliqués, c’est mon vrai gagne-pain et c’est aussi un travail intéressant. J’aime bien essayer de transmettre des choses, même si je ne suis pas un vrai pédagogue. Sinon je travaille comme mixeur/producteur sur les disques des gens qui me le demandent, dans mon petit studio, c’est très variable de ce côté-là .
Quels sont tes projets pour cette nouvelle année ?
Monter un groupe et répéter pour jouer Smallville Tapes en concert, finir la version disque de la BO d’un court métrage (Friendship Without Love de Sébastien Auger), finir un disque un peu ambiant construit autour du Fender Rhodes et trouver un label pour ça, terminer une cassette de morceaux solo électronique live à sortir chez Err Rec.
Un dernier mot ?
Choucroute.
Photo : Maria Daniela Quiros
Domotic – Smallville Tapes (Gonzaï Records, 24 novembre 2017)
01. Repos forcé
02. Fréquence fuzz
03. Terrain vague
04. Cinquième étage
05. Luminosité variable
06. Département inconnu
07. Rite de passage
08. Cocktail étrange
09. Investigation préliminaire
10. Pierre angulaire
11. Injection
Écrit par: Guillaume Cohonner
Domotic Gonzaï Smallville Tapes
Hier, sans aucune forme de prétention, nous cherchions à transcrire et à réfléchir notre époque. Curieux et audacieux, défricheur passionné, nous explorions sans oeillères et à travers un contenu éditorial toujours riche
et exigeant l’ensemble des strates qui composaient le monde bouillonnant de la musique indépendante, ses marges souvent nichées dans le creuset du web comme le halo médiatique qui entourait certains. Mais çà c’était avant. Aujourd’hui, on fait ce qu’on peu !
dieu vous le rendra….
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