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Dernière nuit avant travaux – Confort Moderne

today18/02/2016 63

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Dernière nuit avant travaux, Confort Moderne, Poitiers, le 13 février 2016

Parfois il y a des papiers un peu plus difficile que d’autres à écrire parce qu’ils ont une petite, ou une grosse charge émotionnelle. Chacun d’entre nous, d’entre vous a été construit par des lieux et des rencontres, c’est comme ça que ça marche en théorie. C’est comme ça qu’à un moment donné on pousse une porte, un peu curieux, et puis là dans l’entrebâillement notre vie s’en trouve un peu, beaucoup, même entièrement changée.

La première fois que j’ai poussé la porte du Confort Moderne j’étais tout petit, et je me suis retrouvé au milieu de quelque chose qui m’avait vraiment dépassé. Je me souviens qu’il y avait des choses vraiment partout. Des expositions, dont une est restée un peu mythique dans le monde de l’art Concrete Castle, un labo de sérigraphie et une fanzinothèque avec des éditions et des impressions un peu partout, et plein de concerts, à droite, à gauche, tout ça dans une friche de quelques milliers de mètres carrés au cœur du Poitou-Charentes, à Poitiers. Oui oui à Poitiers. Je me souviens, ça devait être en 2005 mais j’y avais vu dans l’exposition des gens aussi différents et fous que les Reena Spaulings, Brian DeGraw, Richard Kern, Harmony Korine, Bernadette Corporation, Agathe Snow, Rita Ackermann, Michael Portnoy, Mirka Lugosi et j’en passe.Bien sûr c’est après, que j’ai compris que c’était vraiment fou, mais souvent, c’est après , parfois même bien après qu’on comprend ce qui change notre vie.

Je me souviens aussi d’un concert de Bastard vraiment fou, d’un set de Chloé et d’Optimo (joué au sol dans un angle de la salle), et d’un habillage lumière fait par Ingrid Luche… Bref, je crois que maintenant je peux dire qu’à partir de là ma vie avait un peu changé. Depuis 10 ans donc, c’est un lieu que j’ai fréquenté, aimé, dans lequel j’ai vécu des choses que peu de lieux en France ou ailleurs  permettent de vivre. C’est là où j’ai vu Sunn O))) pour la première fois, là où j’ai vu WHY?, là où j’ai vu Jay Reatard, là où j’ai vu Ivan Smagghe, là où j’ai vu Hair Police, Jad Fair, Daniel Jonhston, Sun Araw, Noetinger, I Cube, Koudlam, La Chatte, etc etc. Là que l’art a changé ma vie quand j’ai compris qu’il était sensible, immédiat, et absolument toujours politique. C’est le lieu où j’ai compris que la culture au sens large et sans hiérarchie de genre était, peut-être, ce qui avait un sens et un sens profond, un sens qui fait qu’on se lève le matin, aux aguets. Là où s’est chevillé profondément l’art et la vie confondus, là où cette formule n’est pas une petite phrase marketing. Là où pour un vernissage de Yann Gerstberger devant Clara 3000 on bouffe des hot dogs offert pour l’occasion. Là où Matthew Barney décide de se payer un billet d’avion pour venir voir jouer son pote Stephen O’Malley pour le vernissage d’une expo sur le métal et avec qui on bouffe des soupes chinoises, là ou Peter Halley vient voir sa femme Ann Craven venir faire son premier solo show d’envergure en France.

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Photos © Julien Kors

Bref, je vais arrêter cette longue introduction histoire d’amour, parce que je pourrais sans doute y passer des heures, raconter ce qu’on faisait alors que tel groupe tournait tel ou tel clip, raconter comment parfois les montages d’exposition ressemblent à des utopies dans la vie même, mais hier c’était la dernière nuit avant les travaux, la dernière nuit qui venait clore 30 ans d’histoire d’un lieu qui sait justement faire vivre cette réplique si lointaine aujourd’hui de l’art et la vie confondus. Et la faire vivre radicalement et souvent sans concession. Le Confort Moderne a ce caractère fou de toujours plus ou moins malgré nous, plus ou moins malgré lui, produire du sens dans le réel, et d’en faire son histoire.

Alors voilà, le Confort ne ferme pas, heureusement pour l’art, pour la musique et pour les idées, mais le Confort sera en travaux pour 18 mois. Dernière soirée d’ouverture avant une réouverture qu’on espère encore plus belle. De la programmation comme souvent on ne connaît pas grand chose. Et puis toujours un peu la même histoire, toujours une soirée comme seul, ou quasiment, le Confort peut nous en faire vivre. Une exposition Distopark, transformée en terrain de paintball pour la soirée, et des concerts. Des concerts on retiendra sans doute Gugayage, une sorte d’électro noise au milieu d’un atelier vidé pour l’occasion, sorte de masse sonore hyper dense et possessive, Fiction au milieu du labos de sérigraphie et puis l’impeccable set d’Helena Hauff. Le tout avec les amis, la famille, on recroise Mirka Lugosi venue danser pour l’occasion, un peintre, un sculpteur, d’anciens membres de l’équipe, des programmateurs d’ailleurs, bref on est dans une histoire qui se joue, une histoire de lieu au sens le plus fort du terme. Une histoire aussi qui marque une position qui depuis trente ans n’a presque pas pris une ride, une position radicale. Pas de posture au confort, pas de course à l’avant-garde de l’avant garde, pas de course au dépassement du dépassement, juste la vie dans des murs en béton d’un ancien magasin de bidet, d’une ancienne fonderie.

Il y avait quelque chose de beau et quelque chose de triste. Mais quelque chose aussi de l’absolue singularité de ce lieu qui existe vraiment. Des fois si on était amené à rêver un lieu, je crois que ça pourrait ressembler au Confort Moderne. Un lieu où la vie, la théorie, l’art et la musique se font sans posture, sans allure, un lieu où ça se fait pour de vrai et simplement. Alors bien sûr pas toujours, mais souvent, ça dépasse! Quoi qu’il arrive au fil des années, ça surgit si j’ose dire. Au milieu d’un vernissage, au milieu d’un concert… C’est un lieu qui depuis 30 ans crée sa propre mythologie, en permanence et toujours à nouveau. C’est je crois, après en avoir écumé pas mal, un des lieux en tout cas les plus singuliers de l’hexagone, et on lui souhaite pour ça, de toujours persister, persévérer et de toujours se radicaliser. Encore et encore. Il y a sans doute une école Confort Moderne, en Art, en Musique. Il y a surtout des choix et souvent le choix c’est de ne pas renoncer, de ne pas être dans la facilité. Si je devais résumer en un exemple le Confort Moderne, je crois que je me souviendrais ému, d’une scène monochrome construite par Olivier Mosset sur laquelle je vois Rhys Chatham jouait de la trompette. Le tout au milieu d’un entrepôt immense, éclairé par la lumière du jour qui passe par une tôle en éverite transparente… Ou je ne sais pas, c’est peut-être voir Nico Vascellari performer un monolithe en bronze de 4/5 mètres de haut dans la cour du Confort, le tout accompagné de John Duncan, ou je ne sais pas peut-être voir le chargé de diff de l’équipe passer des disques dans une chapelle en bois de Nicolas Milhé devant Elke Krystufek à côté des sauces pour les patates du buffet du vernissage… Des fois c’est à se demander si le Confort Moderne en plus de créer du sens dans le réel, ne crée pas du réel tout court.

En tout cas ce qui est sûr c’est que le Confort Moderne est un lieu vital, un lieu à côté et un lieu devant, un lieu qui vous fouette et qui chasse. Un lieu qui peut-être changera, ou a changé votre vie. Et puis mince à la fin vous en connaissez beaucoup vous des lieux ou vous pouvez en plein mois de février vers 10h du matin, entendre un poème arabe sur l’infini devant un container qui contient une âme?

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Écrit par: Aurèle Nourisson

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