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Chloé l’interview

today26/02/2015 48

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Photo © Thomas Pirel

À l’occasion de la troisième édition du WEE, le Théâtre Auditorium de Poitiers organisait le samedi 31 janvier une Sieste Electronique avec Chloé, pendant laquelle le public était invité à s’allonger au centre de la scène de l’auditorium. Quatre hauts-parleurs disposés en hauteur diffusaient la sieste. Chloé, quant elle, était au centre de ce dispositif, jouant au milieu des corps allongés.

Chloé l’interview

Chloé

Photo © Bernard Mouchon

Pour commencer, est-ce que tu pourrais revenir sur la genèse du projet Le surréel et son écho, dont la sieste que tu as faite samedi est, je crois, une continuité. Il s’agissait d’une commande commune entre le Centre Pompidou et France Culture ?

Ce projet est l’aboutissement d’un processus, qui a commencé par une commande du Centre National des Arts Plastiques (le CNAP) et de l’Atelier de Création Radiophonique (ACR), émission sur France Culture. Il m’a été proposé une carte blanche pour faire une pièce sonore. Je m’intéresse depuis longtemps au dadaïsme et au surréalisme, disons que ma vision de la musique fait écho à ce mouvement (entre autres) dans la démarche « politique » qui ne veut pas créer justement, mais détruire l’ordre établi. Une façon de ne pas vouloir rentrer dans une case prédéterminée. J’ai voulu faire une sorte de création surréaliste autour du surréalisme; au final c’était une façon de m’approprier le sujet et d’en faire une sorte de quête personnelle et introspective. L’émission a été diffusée sur France Culture et était aussi apparue avec un CD-livre, Chasser-croiser, le surréel et son écho, sorti aux éditions Dis Voir. A cette occasion, j’ai réadapté ce projet pour en proposer un live à Beaubourg.

Comment est né ensuite ce projet de sieste pour le TAP à Poitiers ?

Le live que j’ai joué au TAP de Poitiers résonne avec ce projet pour l’ACR, je l’ai réadapté pour la Sieste électronique. Les dispositifs ne sont pas les mêmes : à Beaubourg, j’étais face à un public assis en face. Bernard Joisten (artiste) avait créé les vidéos et la lumière pour permettre une immersion totale du spectateur, tandis qu’au TAP, le public était allongé dans le noir, avec quelques points de lumière. La donne est très différente, d’autant plus que ces deux dispositifs sont très inhabituels pour moi, mais me permettent aussi de proposer « autre chose »… Quoi exactement, je ne sais pas, mais quelque chose qui s’immisce dans le sommeil. C’est la première fois que je jouais devant un public allongé, c’est étonnant.

Ce samedi, j’ai été très frappé par une chose dès le début de la sieste. J’ai d’avantage eu l’impression d’être face à un collage sonore qu’en face d’un live ou d’un set. Il y avait beaucoup de choses superposées, des poèmes surréalistes, DADA, des bruits, des morceaux de certaines parties de tes productions aussi, et ta voix en direct. Comment tu as travaillé cette matière ?

J’ai intentionnellement utilisé les mêmes procédés que prônaient les dadaïstes et les surréalistes : la poésie sonore, le bruitisme, ou même le ready-made de Marcel Duchamp (qui dit que n’importe quel objet peut être désigné comme une œuvre d’art). J’ai eu accès aux archives de l’INA et j’ai pu écouter des centaines d’interviews allant de Man Ray, Duchamp, Louis Aragon, etc., des enregistrements d’époques des artistes Fluxus et de leurs performances artistiques. Pour mon live, j’ai voulu créer un pont entre ces enregistrements d’époques et mes sons plus « modernes » (dans le sens émancipation) en créant de nouvelles ambiances et en transformant des sons. Ensuite je construis toute l’architecture du live en direct, et transforme encore des choses en direct avec des pédales de guitare, ou bien ma voix que je passe dans ces pédales ou d’autres effets.

Comment tu as procédé pour le choix des poèmes ou des pièces pour cette sieste ? J’ai reconnu Persiennes d’Aragon notamment, dont je ne connaissais pas cette version « performée ».

J’ai fait un tri dans ces interviews pour ne garder que des bouts de phrases ou de réflexions que j’aimais bien. Il y a cette phrase de Man Ray, par exemple, qui résume le dadaïsme avec humour : « Comment est-ce qu’on devient dadaïste ? Je dis c’est très simple il faut les fréquenter c’est tout ». En écoutant ces interviews, j’ai été choquée de constater qu’il y avait très peu d’interviews de femmes autour de ce mouvement. Chez les surréalistes, la femme ne semble être qu’une source d’inspiration, une muse. Ça m’a donc beaucoup amusée l’idée de traiter ce sujet, en tant que femme, et je dois dire que j’ai pris beaucoup de plaisir à « jouer » avec ces voix d’hommes. J’ai rééquilibré les voix hommes / femmes : on retrouve notamment la voix d’Elsa Triolet (femme d’Aragon), et celle de Mirabelle Dors (archive que j’ai trouvée par mes propres moyens, grâce à un ami qui m’a transmis ses bandes d’interviews). Et puis je me suis aussi appropriée des enregistrements : par exemple j’ai intégré une partie du poème d’Apollinaire Sous le Pont Mirabeau, progressivement ma voix vient hanter et prendre le dessus. J’ai demandé à un ami de réciter le poème Persiennes d’Aragon, en y rajoutant des ambiances sonores… Ce qui m’intéressait, c’était ce mélange ancien/nouveau, homme/femme, chacun et chacune avec leurs timbres de voix et accents.

Ce phénomène de « collage » est aussi un procédé très Dada et surréaliste. Il y a eu énormément de pièces et de tentatives plastiques autour de cette esthétique, avant qu’après la Seconde Guerre Mondiale, elle soit reprise en gros par les lettristes, puis les situationnistes. Est-ce que pour toi, cette esthétique du collage est une manière possible de déplacer, ou d’expérimenter la musique électronique ?

Effectivement la musique électronique me permet d’aller plus loin qu’un simple collage. J’ai utilisé des effets qui transposent, alternent les sons pour les faire devenir autre chose.

Chloé l'interview 2

J’ai aussi été frappé, mais comme souvent quand je vois tes live, par une sensation de lenteur, comme si tu ralentissais en permanence le tempo. Ça donne un effet très particulier sur ce que l’on peut ressentir en tant que spectateur.

Le live me permet de donner autre chose que ce que je fais en club ou ce que je produis en studio. C’est un parti-pris que de ralentir mes live, ça laisse plus place à la réflexion et à l’imaginaire de chacun. Et puis prendre son temps est un luxe, surtout dans la société dans laquelle nous vivons où tout doit aller encore plus vite et plus loin.

Il y a un autre phénomène bizarre qui s’est créé pendant cette sieste, c’est une sorte d’état de somnolence – la position allongée jouant énormément sur cet état de demi-sommeil et de conscience un peu, comment dire, autre. C’est un état d’attention assez particulier, où tu disparaissais au profit d’un état de conscience plus enclin à l’imagination qu’à regarder le dispositif de diffusion. Tu as travaillé en ce sens ? Je veux dire, pour plonger l’auditeur dans un état de conscience différent qui fait qu’on oublie ce dispositif de diffusion ? Il y avait presque quelque chose d’onirique qui finissait par se créer…

Les auditeurs et moi-même étions plongés dans le noir, et le public était allongé : ça change complètement le rapport scène/public, et cela donnait un avantage : se concentrer sur l’essentiel, les sons, et ne pas penser au regard des autres.

Comment tu as travaillé ce dispositif scénique d’ailleurs ? Il y avait, je crois, quatre enceintes au plafond, tu étais d’une certaine façon au milieu de l’espace mais peu à peu, ce dispositif devenait très peu perceptible. Voire invisible.

L’idée était d’accentuer l’effet de sieste, de sommeil, en créant un espace fermé pour que l’auditeur soit en immersion totale. Le public était donc allongé, et les sons venaient du haut, permettant ainsi d’accentuer les sensations et de ressentir les vibrations oniriques.

Il y avait une sensation aussi, assez particulière, sans doute du fait de cet état de conscience un peu différent, une sensation assez fantomatique du son, comme si quelque chose se jouait à l’intérieur de ce grand collage mais qui n’était là que par écho, par apparition et disparition. Est-ce que c’est aussi quelque chose que tu as travaillé ?

De la même façon que ralentir le live permet à chacun d’imaginer plus de choses, j’ai accentué la sensation de lenteur et de suggestion par ces procédés d’apparitions/disparitions. Ça laisse chacun libre de faire sa sieste comme il l’entend.

Tu avais déjà joué trois ou quatre fois à Poitiers, dont deux fois où je me souviens d’un dispositif singulier. La première, c’était pour les 20 ans du Confort Moderne, et la scénographie avait été réalisée par Ingrid Luch. Tu étais très proche du public, dans un coin de la salle, et au sol, il y avait un éclairage particulier aussi, et dans mon souvenir, pas de barrière entre toi et le public. L’autre fois, c’était pour le festival OFNI avec, je crois, Transforma, où là il y avait un dispositif vidéo qui accompagnait ton live. Avec la généralisation du clubbing nocturne et la multiplication des lieux et des soirées, notamment à Paris, est-ce que tu as envie de te diriger vers de nouveaux formats ou de nouveaux espaces de diffusions ? Je pense à ton travail pour la Biennale de Venise par exemple.

Je me verrai bien continuer à faire plus souvent des live en mode « siestes électroniques » le week-end comme ça, c’est peut-être un avenir pour mes vieux jours ? A réfléchir. Mais je crois que je m’ennuierais si je ne faisais que cela, et que le club me manquerait trop. L’idéal pour moi est d’alterner mes soirées clubs/DJ et ce genre de live un peu plus expérimental, c’est beaucoup plus enrichissant personnellement. J’écume les clubs depuis une vingtaine d’années, il est donc important pour moi aussi que je cherche de nouvelles choses ailleurs qui me créent une source d’inspiration très forte, aussi bien pour mes productions que pour mes DJ-sets. J’ai des projets qui arrivent au fil des années, et les choses se font (ou pas) selon les affinités. Dans le cas de la Biennale de Venise par exemple, Anri Sala m’a contactée pour collaborer sur son projet Ravel, Ravel, Unravel, c’était un long travail mais tellement enrichissant.

Pour finir, peut-être, est-ce qu’il y aura une continuité à ce projet ? Est-ce qu’on doit y voir une orientation pour un futur album ou un futur live ?

Oui oui l’histoire continue… un nouvel album sur lequel je travaille, de futurs live, et des soirées clubs encore, pour le meilleur et pour le pire !

Écrit par: Aurèle Nourisson

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