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Julie Tippex l’interview

today07/04/2015 609

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Logo Julie Tippex

Quel est le point commun entre Etienne Jaumet (lire), Ela Orleans (lire), Jeff Mills (lire), Jad Fair (lire), Pierre Bastien (lire), Young Marble Giants (lire), tous interviewés dans nos pages, ou encore Slow Steve que l’on s’apprête à faire jouer lors d’une soirée organisée à l’Espace B le 15 mai prochain en compagnie d’All Yours Sisters et All Night Wrong (Event FB) ? A priori aucun. Sauf peut-être ce seul et unique dénominateur commun, souvent transparent pour le quidam ne s’intéressant que peu aux soubassements des circuits artistiques, l’agence de booking Julie Tippex. Basée à la fois à Paris, Berlin et Londres, cette agence singulière tant par la démarche que dans son impeccable roster – née dans la brume d’une tournée anglaise de Faust et instiguée par Marie-Pierre Bonniol, première programmatrice du Nouveau Casino et fondatrice du festival BBmix à Boulogne Billancourt que l’on connaît si bien -, organise du 7 au 11 avril la Paris Tippex Week avec au programme quelques monuments (Jad Fair, Jeff Mills), beaucoup d’incontournables (Moon Duo, Dogbowl, Stereo-Total, Zombie Zombie) et pas mal de curiosités bien senties (Colleen, Shrouded & The Dinner, Ghédalia Tazartès et Motus). On en a profité pour en savoir un peu plus.

Marie-Pierre Bonniol l’interview

Marie-Pierre-Bonniol-Festival-Disco-Babel-2005

Marie-Pierre Bonniol au Festival Disco-Babel, Mains d’Œuvres, 2005

Peux-tu présenter l’agence, de sa genèse à Paris jusqu’à aujourd’hui où elle est présente à Londres, Paris et Berlin ? Quel est l’état d’esprit qui l’anime ?

Marie-Pierre Bonniol (fondatrice et coordinatrice de Julie Tippex) : Julie Tippex est une agence de production et de tournées qui s’est montée en deux fois, en 2004 à Paris avec Disco-Babel, puis en 2007 à Londres pour sa partie européenne, où j’étais partie rejoindre mon mec, le batteur de The Chap. En tant que programmatrice, organisatrice, j’étais souvent très frustrée de mes rapports avec les agents anglais, alors j’ai décidé de retourner tout ça en créant un caractère fictionnel, Julie Tippex, une super agente, fan de poésie comme de post-punk, pleine de bonne volonté, en prenant mes lunettes comme enseigne. Alors qu’avec Pascal Regis, à Paris, on faisait déjà tourner quelques groupes en France comme James Chance et Blurt, c’est à Londres que l’agence s’est véritablement construite en débutant un travail à l’international qui nous a fait rapidement couvrir d’abord l’Angleterre puis toute l’Europe, en développant des groupes comme Zombie Zombie par exemple.

Petit à petit, des gens nous ont rejoints : Etienne du groupe Rien, que j’ai rencontré à Berlin où je me suis installée après Londres, et Tom Relleen de The Oscillation qui, à force de faire tourner eux-mêmes leurs groupes, se sont dits qu’ils pouvaient tout à fait le faire pour d’autres. On retrouve aussi dans la bande Ambre Bresset, également programmatrice au 106, Amande Dagod, qui a récemment monté le label Späti Palace, Marion Orel, qui est également artiste et commissaire d’expo, et Steve Shepherd, qui a quitté récemment Manchester pour rejoindre Paris. Également, dans l’équipe en production, Thierry Legrand, qui travaille aussi avec Soyouz, un tourneur dont on se sent proche, et Guillaume du Club des Chats, un de nos premiers groupes, qui nous aide sur tout un tas de choses, ainsi que d’autres personnes qui nous rejoignent selon les projets.

Dans le lot des agents, on retrouve deux anciens disquaires, un presque-membre de The Fall, deux propriétaires de poneys, un champion de baby-foot. Richard Brautigan, Enrique Vila-Matas, Georges Bataille et Thomas Pynchon font partie des auteurs qu’au moins deux d’entre nous partagent. On est capables de parler d’autre chose que de musique et on a tous un gros fond de groupie en nous. Peut-être que les fondations de Julie Tippex prennent racine dans le tendre ; en tous cas, dans ce qu’on entreprend, on est à fond. On est mené par l’élan : envie que les artistes qu’on aime se diffusent, envie que des plateaux se montent pour que des moments s’ouvrent, envie d’être actifs et constructeurs dans notre rapport à l’art. On n’est absolument pas dans des logiques industrielles.

Votre manifeste place l’agence en décalage d’une agence classique, bien loin de préoccupations moutonnières. Quelles sont l’identité et l’esthétique musicales défendues ?

Ça se joue davantage sur notre rapport aux choses. L’arche de Julie Tippex, c’est vraiment le bon vouloir, l’envie que des choses se passent et qu’elles se passent bien. Qu’un artiste vienne enfin jouer en Europe. Que des concerts prennent place. Que les idées et l’art qu’on aime circulent. Qu’il y ait une économie, c’est-à-dire une circulation, mais que nous puissions aussi en vivre en partie et les artistes que nous représentons aussi.

Nous n’avons pas de compromis à faire quant aux projets sur lesquels on décide d’aller. Nous travaillons avec des artistes que nous aimons vraiment, qui ont pour nous du sens. Parfois ça sera sur un concert, sur une tournée, parfois sur dix ans. Nous avons collaboré avec des centaines de projets depuis le début de l’agence, travaillant à toutes sortes d’échelles, de l’underground et l’associatif à l’institutionnel. L’industrie de la musique, si nous y avons tous eu affaire à des moments, n’est pas un endroit où je me sens personnellement très bien, et c’est un sentiment partagé, je pense, par beaucoup de Tippex, qui ont eu l’occasion d’exercer toutes sortes de fonctions dans la musique, de se frotter à différents milieux.

De fait, les artistes que nous représentons sont souvent à la marge, dans un même rapport au monde et aux choses. Nous les aimons parce qu’ils ne sauraient se réduire à l’idée de produit, parce que quelque chose en eux nous surprend, nous pique ou nous envoûte, parce que nous y trouvons quelque chose d’authentique et sincère, d’irréductible et singulier, qui colle à nos émotions.

Du coup, nos discothèques personnelles sont un peu le cœur atomique de l’agence : de la même façon que Young Marble Giants, les Raincoats, ESG, Faust, Glenn Branca, Silver Apples, Lee Ranaldo, Ghédalia Tazartès, Pierre Bastien y tiennent une grande place, nous essayons de leur faire la même au sein de l’agence, finalement assez représentée par le krautrock, le psyché, les musiques minimales, expérimentales, la pop barrée, le post-punk – nos classiques, finalement.

Ambre au seminaire Tippex, 2011

Ambre au séminaire Tippex à Berlin en 2011

L’agence se veut artistiquement impliquée. Quelles formes cet engagement revêt-il ?

Travailler avec un artiste demande d’être en empathie avec ses valeurs, connaître sa personnalité, ses failles, ses forces, et de bâtir avec lui une relation de confiance. Étant agents européens, nous travaillons directement avec la plupart de nos artistes alors que la plupart du temps, les agences françaises représentant des artistes internationaux ne sont le plus souvent en contact qu’avec des intermédiaires. Le travail, a notre échelle, demande un investissement de temps mais aussi émotionnel, intellectuel, très important. Nous réfléchissons auprès des artistes avec qui on travaille, parfois comme un second cerveau. On amène des solutions. On se bouge pour que des choses se passent. C’est un engagement permanent.

Comment se nouent les contacts avec les artistes et quels sont ceux d’entre eux qui représentent le mieux l’esprit de l’agence ?

On commence souvent par des petits projets, une programmation, une tournée courte, on voit comment ça se passe et on apprend à se connaître, à voir comment se passe le travail ensemble, quelles ont été les réactions autour du projet, puis on creuse les intérêts possibles, on voit si ça prend… Notre collaboration avec Jeff Mills par exemple a débuté parce que nous avions proposé l’idée de son projet sur les soucoupes volantes à la Fondation Cartier qui travaillait sur le cycle Mystères des Soirées Nomades. On s’est retrouvé à porter la production du projet, et Jeff Mills nous a proposé ensuite de travailler avec lui sur ses projets spéciaux. C’est quelque chose qui nous est arrivé souvent, comme de monter de petites tournées autour de festivals et d’évènements que nous programmons.

Plusieurs de nos collaborations ont commencé de cette façon, même si le plus souvent, le processus habituel est celui d’une prise de contact par courrier lorsque nous avons un coup de cœur absolu pour un projet. Certaines démarches peuvent prendre des années, mais nous sommes têtus. Chaque année ou presque, Tom Verlaine et Billy Childish ont droit à leur mail ! C’est de cette façon que nous avons réussi a faire rejouer Young Marble Giants en France, alors pourquoi pas eux ?

Après, dans le collectif, chaque agent a ses propres goûts, travaille sur des scènes particulières, du coup c’est difficile de mettre un groupe davantage en étendard qu’un autre. Mais je dirais que notre collaboration de long terme avec Zombie Zombie, et le mélange qu’ils opèrent entre les sons de diverses époques, de différentes sphères, est représentative de l’agence et nous sommes très contents qu’ils soient nos invités dans le cadre de la carte blanche que nous a donnée le Palais de Tokyo dans le cadre de leur week-end non-stop DO D!STURB du 10 au 12 avril.

Etienne Jaumet aux Tippex Towers, 2008

Etienne Jaumet / Zombie Zombie aux Tippex Towers de Londres en 2008

La plupart des agences de booking d’aujourd’hui – je ne citerai pas de noms mais tu devineras aisément lesquelles – choisissent leurs artistes selon les baromètres établis tels que Pitchfork et ne créént pas véritablement de relation humaine avec les artistes, plus destinés à remplir des cases qu’à défendre une conception de la musique. Quelle est la relation voulue et défendue par l’agence Tippex avec les artistes ?

Une relation respectueuse de toutes les parties, adulte et humaine. C’est valable aussi pour nos relations avec tous nos interlocuteurs, salles, festivals comme promoteurs. On essaie pour tous d’être source d’idées et de solutions, un partenaire solide.

L’agence fait tourner beaucoup d’artistes avec un impressionnant passé. Quelle est la place faite aux jeunes ?

Même si à chaque fois on se promet d’arrêter parce que nos emplois du temps plus que débordent, il arrive toujours que des jeunes projets nous fassent littéralement fondre et nous fassent jouer des coudes pour les faire rentrer dans nos grilles de travail : c’est de cette façon que je me suis retrouvée à faire rentrer récemment dans notre catalogue le groupe franco-canadien Moss Lime, formé seulement depuis quelques mois, un groupe de filles dans lequel je retrouve tout ce que j’aime dans le post-punk. Elles m’ont attrapé le cœur en quelques minutes seulement, comme des groupes comme Orchestra of Spheres, Kellies, Lawrence Wasser ou Young Michelin, le groupe qui a précédé Aline, ont pu le faire avant. Quand ça papille sec, je ne peux juste pas résister !

Peux-tu nous présenter la Paris Tippex Week qui aura lieu du 7 au 11 avril ?

La même semaine, nous avons à Paris Jeff Mills au Louvre, Ghédalia Tazartès et Colleen à Magic Barbès, Motus le projet d’Emmanuelle Parrenin et Pierre Bastien à Sonic Protest, Moon Duo à la Machine, cette carte blanche, donc, au Palais de Tokyo avec Stereo Total, Zombie Zombie et Patrick Vidal… C’était l’occasion pour nous de faire un petit coucou public comme agence, de sortir un peu de l’ombre, de notre travail quotidien de production, en rajoutant également deux projets chers à Tippex : une exposition des papiers découpés de Jad Fair et un concert de Dogbowl qui est certainement une des mascottes de l’agence. Le fait que l’expérimental comme la pop, le psyché et les projets spéciaux soient également représentés pendant cette semaine donne pour moi une image représentative de l’agence. C’était l’occasion de nous montrer !

Paris Tippex Week, la programmation

Paris Tippex Week
Mardi 7 avril

GHEDALIA TAZARTES
FGO Barbara – 20h30 avec Cheikha Rabia

Mercredi 8 avril

JAD FAIR – Brave happiness
Exposition du 8 au 24 avril, vernissage le mercredi 8 avril à partir de 18h, entrée libre

Jeudi 9 avril

MOTUS (EMMANUELLE PARRENIN ET PIERRE BASTIEN)
Eglise Saint-Merry – 20h avec The Necks et Richard Dawson

Vendredi 10 avril

MOON DUO
La Machine du Moulin Rouge – 19h30 avec Warm Graves

JEFF MILLS
Auditorium du Musée du Louvre – 20h30, The last Story Teller avec David Calvo

STEREO-TOTAL / ZOMBIE-ZOMBIE / PATRICK VIDAL
YOYO / Palais de Tokyo – 23h

Samedi 11 avril

COLLEEN
FGO Barbara – 20h30 avec Yom & Wang Li et Magic Malik Orchestra

DOGBOWL / SHROUDED & THE DINNER / TIPPEX DJS
L’Espace B – 20h30

Toutes les infos sur la Paris Tippex Week, ici.

Écrit par: Thibault

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