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Benoît Rousseau l’interview

today23/06/2015 174

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La Gaîté Lyrique à Paris, le Lieu Unique à Nantes et le Sucre à Lyon accueilleront du 2 au 5 juillet Loud & Proud, un festival dédié à la culture queer. On pourra y croiser Austra, Zebra Katz, Le1f, Cakes da Killa, Big Freedia ou encore Mike Q – une scène bien trop rare en France, alors même que c’est sans doute par là que se réinventent les codes et les genres du hip-hop, des musiques électroniques et même de la pop et du rock. On retrouve dans la programmation et dans l’organisation le même soin apporté à la visibilité des minorités et à la parité. Autant de femmes que d’hommes dans l’équipe de programmation et sur scène, des conférences, des performances, des projections… On a voulu demander à Benoît Rousseau, programmateur de la Gaîté Lyrique, comment le projet était né.

Benoît Rousseau l’interview

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Pour commencer très simplement, est-ce que tu pourrais faire le pitch du projet Loud & Proud ?

En fait, ça faisait longtemps que je voulais organiser un festival de musique à la Gaîté, début juillet à l’heure des festivals d’été. Il fallait qu’on trouve le bon angle. Et puis c’est vrai que ça fait plusieurs années que j’avais remarqué l’émergence d’une nouvelle scène queer, avec des artistes qui s’exprimaient de plus en plus par rapport à ça. Je me suis dit qu’il était temps, après les deux années horribles qu’on a passées avec les débats autour du mariage pour tous, de faire la fête et de passer à autre chose. C’est comme ça qu’est né le festival. J’ai réuni trois autres commissaires autour de moi, Fanny Coral, Anne Pauly et Alexandre Gaulmin. L’idée, c’était de faire un festival sur la communauté queer, un festival paritaire où il y autant d’hommes que de femmes sur scène et dans l’organisation. Très vite, on a débordé du cadre de la musique en programmant aussi bien des rencontres, des conférences et des projections que des ateliers. J’en ai parlé autour de moi et très vite, on m’a sollicité à Nantes au Lieu Unique et au Sucre à Lyon pour faire aussi un décrochage en région.

C’était l’idée, au début, de travailler dans plusieurs villes et dans plusieurs endroits ?

Ce sont des lieux amis, le Sucre et le Lieu Unique. En général, quand je travaille sur des projets un peu plus d’envergure que des simples concerts, j’essaie de les solliciter. Je leur en ai parlé rapidement et ils m’ont dit : « ça nous intéresse, ce sont des questions qu’on voulait aborder dans nos différents lieux et on n’avait pas encore trouvé la bonne formule« . C’est comme ça que ça s’est fait.

En programmant des groupes comme Cakes da Killa, Le1f ou Perfume Genius, est-ce que pour toi c’est aussi une manière de donner une certaine définition de cette culture queer qu’on voit très peu programmée en France, et qui reste quelque chose d’assez évanescent ?

C’est donner aussi un coup d’oeil médiatique à ces artistes-là. C’est pas anodin de le faire à la Gaîté : on n’est pas les premiers à faire des événements queer à Paris, mais ils n’ont jamais lieu dans des institutions. Nous on a pu mettre un pied dans l’institution donc on en profite. C’est vrai que pour l’instant, ce sont des artistes qui ont souvent été cantonnés à des caves de bar ou à des petits endroits, et qui jouent sans budget. Nous, on a la chance de pouvoir faire ça à la Gaîté et d’avoir une exposition médiatique plus importante que d’habitude. Après c’est vrai que ce sont des artistes qui sont très peu représentés dans les festivals d’été. On se rend compte que mine de rien, les grands festivals d’été de musique rock, et encore pire de musique électronique, sont dominés à 90% par l’homme blanc hétérosexuel.

C’est aussi pour protester contre ce genre de trucs et faire évoluer un peu les choses. C’est pas normal aujourd’hui en France, là où on se dit que la culture c’est plus ouvert, ça va un peu mieux qu’ailleurs, en fait c’est le reflet de la société. Mais pas que chez les artistes : les mecs programment et les filles elles font la comm’. L’idée c’était de faire un festival de musique de façon différente.

Il y a une démarche finalement assez politique dans l’idée de faire ce festival-là ?

À notre petit niveau, mais oui, c’était important pour nous qu’il y ait autant de femmes que d’hommes sur le festival, pour nous c’était important qu’on s’engage dans ce sens-là. Comme c’est un festival sur les minorités, il y a aussi pratiquement autant de blacks que de blancs, et tout ça se mélange. Et on a aussi des artistes qui sont venus pour ça. On a toute la galaxie des mecs de The Knife qui viennent, je pense que si on n’avait pas eu cette démarche, ils ne seraient pas venus. C’est même eux qui nous ont contactés pour venir jouer dans le festival, alors que d’habitude tout le monde les sollicite et qu’ils ne veulent jamais rien faire.

C’est une scène qui réinvente vraiment les codes de l’électronique, du hip-hop, et qu’on ne voit jamais en France, alors que ça reste une des parts vraiment intéressante de ce qui se fait en musique aujourd’hui…

Alors c’est le thème de plusieurs rencontres qu’on fait là-dessus aussi. C’est-à-dire comment la culture mainstream se réapproprie aussi les codes de l’underground et de la culture gay. Il y a plusieurs exemples à ce sujet : le plus fameux, c’est Vogue de Madonna, qui a pillé complètement la culture vogguing new-yorkaise pour la diluer dans le mainstream. Il y a plein d’exemples comme ça qui font que la culture mainstream digère la culture gay et underground. On le voit tous les jours.

Il y aussi un exemple célèbre, c’est Gossip : ils ont commencé comme un groupe de punk, et puis ça s’est emballé, et ça a été très folklorisé, c’est-à-dire qu’à un moment, dans les festivals, les gens allaient voir la grosse gouine qui se roule par terre parce qu’elle est marrante. Nous on a voulu rendre à César ce qui est à César, et permettre à ces artistes de jouer devant un public qui ne viendra pas se foutre de leur gueule parce qu’ils ont mis une robe et du rouge à lèvre.

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La programmation, elle s’est décidée à quatre dès le début ?

Oui, on l’a faite ensemble. L’idée aussi, c’était de faire jouer des artistes jeunes – ils ont quasi tous entre 20 et 30 ans. L’idée, c’était vraiment de rendre compte de cette nouvelle scène. On aurait pu faire toutes les vieilles gardes, Jimmy Summerville, etc., mais on voulait faire jouer une nouvelle génération dont la queerness fait partie intégrante de la création. Quand on voit un mec comme Perfume Genius, c’est une évidence qu’il est gay, et pourtant ça peut plaire au plus grand nombre. Malheureusement personne le programme en festival.

Je trouve ça quand même fou, ils font des choses hyper importantes en ce moment – je pense à un type comme Lotic…

On y a pensé, à Lotic, mais le programme était déjà plein. J’espère l’année prochaine. Mais c’est pas facile non plus d’expliquer ce festival aux professionnels de la musique, dans le sens où tu parles à un agent français qui parle à un agent anglais, qui parle à un manager qui parle lui-même à l’artiste. Finalement, tu ferais une offre pour le festival de la saucisse ou pour un festival queer, pour eux, c’est la même, ils regardent le nombre de zéro dans ton offre.

Dès qu’on a pu parler directement à un artiste, ça s’est passé beaucoup plus simplement. C’était le cas pour Austra parce que j’ai pu les rencontrer avant. On voulait absolument faire Arca sur le festival, malheureusement il a fallu que ça passe par quinze intermédiaires, résultat ils nous ont demandé des sommes astronomiques et finalement le mec était plus trop dispo, bon bah voilà, on a abandonné. C’est dommage, parce que du coup c’est le téléphone arabe, l’info elle est diffuse, alors que je pense qu’un certain nombre d’artistes serait content de jouer dans ce type de festival.

C’est aussi une couleur, ta programmation à la Gaîté ?

Oui, j’ai toujours fait attention justement à avoir une certaine parité dans la programmation, que les minorités y soient représentées, qu’il y ait autant de femmes que d’hommes, sans le vouloir vraiment d’ailleurs. Du coup, après, l’argument des festivals de rock ou de musiques électroniques, c’est qu’ils programmeraient bien des femmes mais qu’ils n’en trouvent pas, voilà… On me l’a fait plusieurs fois…

Pour finir, est-ce que tu as une explication sur le fait que ces groupes ne descendent pas plus en province ?

Malheureusement, je dirais que ça n’est pas du fait uniquement qu’ils soient queer, mais en général les agents n’en ont rien à foutre de la province. C’est pour ça aussi que nous, on a voulu faire des décrochages à Nantes et à Lyon. J’espère que l’année prochaine, il y aura d’autres villes, voire pourquoi pas monter une tournée queer plutôt que de faire un festival, ça serait super.

J’ai l’impression quand même qu’il y a une frilosité des programmateurs de SMAC « classiques », on va dire.

Le truc, c’est que les programmateurs de SMAC, c’est que des mecs blancs hétéros, hein. Des SMAC, il y en a beaucoup en France, et il y a deux femmes programmatrices, dans les gros festivals tu as aussi deux programmatrices. Sinon c’est que des mecs, donc c’est pas qu’ils veulent pas, c’est que ça leur vient même pas à l’idée de programmer des femmes ou des queers, ils se sentent pas concernés.

Écrit par: Aurèle Nourisson

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